Or, si elles sont encore peu nombreuses dans le nouveau paysage des productions audiovisuelles, elles sont surtout de qualité inégale. Qu’est ce qui distingue une bonne série d’une mauvaise ? Comment peut-on réussir avec trois fois rien et se planter avec tout ?
Tentons donc de répondre en comparant trois productions « haut du panier » : Rome, Deadwood et Les Tudors.


Première étape : le nerf de la guerre.
Le budget alloué à une série historique est sans conteste une part importante de son succès. Qui dit histoire dit reconstitution : décors, mobilier, costumes, perruques, tout est bon pour plonger le spectateur dans l’époque choisie.
Seulement, tout cela a un prix et selon les séries, les situations varient.
Ainsi, Rome a dès le départ été jugée comme dispendieuse par HBO, chaîne américaine privée, qui décide donc de couper la poire en deux en associant la BBC à la production. Le lieu de tournage, Cinecitta a également été choisi pour limiter la casse question décors et costumes, les studios romains recelant de vraies mines en matière de peplum. Mais l’ampleur de la production pourtant avare en grandes pompes (peu de batailles, peu de cadres larges sur les foules) fini par avoir raison de la série au bout de deux saisons.
« Rome » : Ciaran Hinds (César).
Deadwood au contraire, a des ambitions visuelles bien moindres. Reconstituer une ville pionnière au XIXème siècle renvoie premièrement à réutiliser des décors de western préexistant. Ensuite, l’action se limitant à deux rues et quatre maisons, les lieux de tournage sont suffisamment limités pour faire de cette série un excellent rapport qualité prix (mais qui fut jugé encore trop élevé par la chaine, mettant un terme à la série au bout de 3 saisons).
« Deadwood » : Keith Carradine (Wild Bill Hickock), Timothy Oliphant (Seth Bullock).
»Les Tudors », qui s’inscrivent depuis l’origine comme un produit concurrent à HBO et ses séries, étalent un pognon fou à tout bout de champ. Le faste des costumes et des décors renvoie davantage au cinéma qu’à la télévision, ce qui aboutit pour le spectateur à un résultat visuellement étincelant. Mais une telle débauche de luxe pose la question de savoir combien de temps Showtime pourra t’elle aligner les devises pour soutenir le rythme.
« The Tudors » : Nathalie Dormer (Anne Boleyn), Jonathan Rhys Meyer (Henry Tudor).
Seconde étape : le casting.
La présence de personnages célèbres traversant en guest star (Deadwood) ou s’installant à demeure (Rome, Les Tudors) dans la série implique de choisir scrupuleusement les interprètes, se devant d’être à la hauteur des êtres incarnés.
Si HBO a fait rapidement le choix d’acteurs solides au détriment de noms prestigieux, Les Tudors prennent la trajectoire inverse.
La saison 1 aligne Jonathan Rhys Meyer (Henri), Jeremy Northam (More) et Sam Neill (Wolsey), la seconde enrichie sa distribution de Peter O’Toole (le pape), et la troisième s’offre la chanteuse Joss Stone (Anne de Clèves).
Mais le résultat final fait tout de même pencher la balance en faveur de Rome et Deadwood, dont les interprètes sont plus volontiers au service de leurs personnages que de leurs noms.
On retiendra les belles performances de Ciaran Hinds (César), James Purefoy (Marc Antoine), Polly Walker (Atia), Kevin Mac Kidd (Vorenus) et Ray Stevenson (Pullo), qui chacun ont su rendre leurs personnages attachants et passionnants à suivre.
Dans Les Tudors, on se souviendra de Maria Doyle Kenndy (Catherine d’Aragon) et Nathalie Dormer (Anne Boleyn) qui auraient mérité une série à elles toutes seules.
« The Tudors » : Maria Doyle Kennedy (Catherine d’Aragon).
« The Tudors » : Nathalie Dormer (Anne Boleyn).
Il est d’ailleurs manifeste que Les Tudors orientent davantage le choix des interprètes vers les belles gueules, plutôt que vers les gueules tout court.
Prenons Deadwood, et ses héros crassous et violents, pour l’ériger en modèle de radicalité en terme de casting. En une scène, Ian Mac Shane impose le charisme de Al Swearengen (ce lien vous mène a un florilège assez représentatif de la verve du personnage) tout comme Timothy Oliphant ne laisse aucun doute planer sur la nature de Seth Bullock dès sa première apparition. Mais Deadwood reste un cas un peu à part concernant la caractérisation des personnages.
Quoi qu’il en soit, ces trois séries se rejoignent sur le même point à savoir quelques forts personnages en fil rouge.
Rome tient en partie sur la fil grâce à sa scandaleuse mais fabuleuse Atia et son duel à mort contre Servilia (ici, un petit lien vers le célèbre « taunt » de Livia contre sa belle-mère. Atia rules.).
« Rome » : Polly Walker (Atia).
Deadwood annonce dans la première saison le même affrontement, entre Seth Bullock et Al Swearengen, conflit qui trouvera son aboutissement dès le premier épisode de la seconde saison, et qui révèlera le véritable héros de la série, Al, sans qui les scénarios perdraient immanquablement de leur saveur.
« Deadwood » : Ian Mac Shane (Al Swearengen).
Dans les Tudors, le personnage de Anne Boleyn est le seul à présenter un véritable intérêt, dans son bras de fer avec la reine pendant la saison un, puis sont ascension et sa chute brutale de la saison 2. Il est d’ailleurs intéressant de noter à quel point Nathalie Dormer a fait un excellent travail autour de ce personnage finalement plus complexe que l’ensemble du scénario des deux saisons réunis. Une fois Anne disparue, quel intérêt à continuer Les Tudors ?
« The Tudors » : Nathalie Dormer (Anne Boleyn).
Troisième étape : un générique immersif.
Les images parlent mieux que les mots aussi suffit-il de jeter un coup d’œil aux génériques respectifs des trois séries pour comprendre leurs différences et par là même, les natures de ces productions :
Rome propose le générique le plus immersif des trois. La ville porte sur ses murs le nom des interprètes, les graffitis s’animent, la musique plonge immédiatement dans une ambiance exotique. Ici, la cité est un personnage à part entière.
Deadwood reconstitue moins la naissance et la vie d’un camp pionnier dans le Dakota du Sud qu’elle ne conte la genèse des Etats-Unis en revenant et écornant au passage les poncifs des mythes fondateurs (dans le même esprit que « There will be blood » par exemple). Le générique expose donc d’emblée les archétypes d’un univers archi connu pour tout spectateur : chercheurs, d’or, saloon, girls… On nagerait presque en plein cliché si il n’y avait cette ambiance poussiéreuse dans laquelle galope ce mystérieux cheval…
Les Tudors, conformément à ce que le casting annonçait, expose son trombinoscope en full frontal. Une sorte de galerie de portrait sur fond de musique de grande fresque historique pour un beau générique qui claque sa mère. On y comprend vite deux choses : Jonathan Rhys Meyer et Henry Cavill sont beaux, Nathalie Dormer vachement aussi. Voilà…
Quatrième étape : tenir la distance.
Qui dit histoire dit chronologie. Donc personnages qui vieillissent, enfants qui grandissent et échelle temporelle à rendre perceptible.
Là dessus, Rome se casse méchamment les dents. Délicat de faire tenir sur deux saisons une période allant de la bataille d’Alésia à celle d’Actium sans faire n’importe quoi. Le résultat : des acteurs qui ne prennent pas une ride (même si Atia se leste de quelques kilos. Pas sûre que ce soit volontaire, cela dit), et des enfants qui grandissent d’un coup (Octave, surtout pour le pire) ou pas du tout (Vorena et Vorenus Junior).
« Rome » : Simon Woods (Octave adulte).
Deadwood quant à elle, n’a pas à s’embarrasser de ces contingences, l’action se déroulant quasiment en temps réel. Sur les dix épisodes d’une saison, on ne voit sans doute guère de deux mois de vie, chaque saison étant séparée de six mois de la précédente. Sans vouloir minimiser les mérites de la série, l’action est nettement moins marquée dans une chronologie « officielle » puisque peu de personnages célèbres traversent le récit, leur passage restant marquant mais jamais handicapant pour un fil conducteur qu’ils ne mènent pas.
« Deadwood ».
Les Tudors et Rome font donc ici même combat, puisque la série de Showtime est censée nous dépeindre les histoires successives des six femmes d’Henry VIII. Or, Henry VIII, c’est çà.
Jonathan Rhaaaas Meyer, c’est plutôt ce genre là (image).
D’où léger manque de crédibilité.
Certes, à l’époque de Catherine d’Aragon et d’Anne Boleyn, le roi était un jeune homme plutôt fringant. Ce n’est qu’après son mariage avec Jane Seymour qu’il commence à enfler sérieusement. Souci de taille, des images de sa saison trois qui filtrent, Jonathan est toujours aussi beau et svelte…
Encore une fois, les enfants peuvent servir de repère chronologique fiables, mais l’action ici est si mal définie dans le temps que les apparitions des mômes ne font que renforcer le malaise et le trouble lié à la temporalité : la princesse Marie, qui prend dix ans en une saison, Henry Fitzroy, nouveau né dans le second épisode, bambin de six ans trois étapes plus tard…
Bref, on nage en pleine confusion…
« The Tudors » : Marie Tudor.
Cinquième étape : Vérités.
L’histoire fourmille aussi bien de faits avérés que de légendes qui ont parfois la peau plus dure que les réalités.
Avec un personnage tel que César dans la saison 1 dont l’interprète, Ciaran Hinds était tellement bon qu’il fit dire à Typhenn : « ah bah zut alors, c’est trop bête que César il sit mort… Je l’aimais bien moi…), Rome tenait un vrai distributeur à citations latines. On pouvait envisager l’entendre proclamer des « veni, vidi, vici » à tout bout de champ, mais les scénaristes ont su intelligemment éviter cet écueil de l’artificialité.
Ainsi, c’est Pullo qui en apprenant à un Vorenus en convalescence qu’ils sont en train de passer le Rubicon avec la légion prononce un équivalent maison de l’« Alea Jacta Est ».
De même, au moment de sa mort, César transformé en passoire par les sénateurs, ne trouve pas le temps de toiser Brutus d’un « tu quoque filii » qui aurait de toute façon sonné déplacé dans la bouche d’un type plié en deux de douleur et en train de cracher du sang.
Dans Rome, on reste en général attaché à un réalisme certain permettant de rendre toujours archi crédibles les situations.
« Rome » : Ray Stevenson (Titus Pullo), Kevin Mac Kidd (Lucius Vorenus).
Dans Deadwood, l’univers impitoyable de Dakota du Sud ne souffre ni théâtralité, ni grandiloquence. Les rares personnages qui en font preuve sont toujours finalement à côté de la plaque. L’image de l’ouest américain est ici sans concession et sans clichés. Le médecin n’est pas un docteur Quinn, capable d’opérer un cancer généralisé avec un cure-dent dans une réserve indienne. Le pauvre fait ce qu’il peut, quand il peut et fait finalement plus souvent office de médiateur ou de psychologue que de praticien.
Les personnages des prostituées sont à mille lieux des filles habituellement dépeintes, pauvres petites choses brisées par la vie. Souvent volontaires, la survie chevillée au corps, elles subissent leur esclavage avec une certaine résignation en même temps qu’une détestation d’elles même.
« Deadwood » : Kim Dickens (Joanie Stubs).
Dans Les Tudors, on tente de se raccrocher à la réalité historique, mais le plus souvent, sans grand succès. Là où Rome savant éviter les pièges de la légende, Les Tudors se vautrent dedans avec complaisance. En tête de gondole, la fameuse scène où Henry VIII, chemise ouverte et mandoline à la main, compose « Greensleeves » en direct live.
« The Tudors » : Nathalie Dormer (Anne Boleyn), Jonathan Rhys Meyer (Henry Tudor).
Sixième étape : Vraisemblance.
Point n’est besoin de coller à la réalité avec la précision d’un Alain Decaux vous racontant la bataille d’Azincourt.
Souvent, et Rome l’a bien compris, suffit-il d’offrir des situations vraisemblables lesquelles font largement mieux leur travail que les images d’Epinal. Il est d’ailleurs étonnant de voir le traitement de certains passages (la conjuration contre César), feutré et réaliste, s’opposer aux ratés des autres (la reddition de Vercingétorix, Cléopâtre, ma chérie, je ne m’en suis toujours pas remise, mais qu’est ce qu’ils t’ont fait ?).
De ce côté, Deadwood est la plus libre des trois productions, puisque seuls deux évènements historiques sont abordés sur l’ensemble des saisons. Le premier, la bataille de Little Big Horn, sert de point de départ à la série mais n’apparaît pas visuellement, Seth et Saul arrivant dans le camp moins d’un moins après la mort de Custer.
Le second, l’assassinat de Wild Bill Hickock, bénéficie d’un traitement excellent, aussi expéditif et efficace que l’on pouvait s’y attendre.
« Deadwood ».
Là encore, Les Tudors s’affichent en mauvais élèves. Des dialogues à la mord moi le nœud pour introduire les bouleversements politico-religieux aux artifices scénaristiques grossiers (pour ne citer que celui-là, l’apparition de Jane Seymour, d’un ridicule presque aussi achevé que le rêve d’Henry en saison 1), rien n’est épargné.
« The Tudors » : Anita Biem (Jane Seymour).
L’erreur vient d’une mauvaise interprétation des succès d’estime de Rome et Deadwood. Affichant sans complexe violence et sexe, les productions HBO s’affirment par un ton décomplexé, où l’on traite de tout non pas pour racoler de téléspectateur, mais parce que tout est bon pour alimenter des scénarios basés sur les personnes et non pas que l’histoire au sens large. Ainsi, la plus petite chose peut avoir une incidence sur les héros et tout se doit d’apparaître à l’écran.
De plus, cet affichage du moindre aspect de la vie sert à renforcer l’immersion du spectateur qui doit accepter d’intégrer un monde qui lui est totalement étranger.
« Rome ».
Dans Les Tudors, les créateurs ont tout pris à l’envers, non pas en adaptant le spectateur au monde qui lui présente, mais en adaptant le monde présenté aux valeurs de notre époque.
Une grossière erreur, digne d’un Christian Jacq à la manque et rendant non seulement l’ensemble bancal, mais truffé de séquences indigestes (je ne parlerai ni ne vous montrerai la scène mémorable de la volte de la saison 2, parce que un çà fait mal aux yeux, et deux j’ai trop de peine pour Nathalie Dormer).
« The Tudors » : Gabrielle Anwar (Marguerite Tudor), Jonathan Rhys Meyer (Henry Tudor).
Conclusion : Honni soit qui mal y pense.
Ainsi la série historique est-elle un art subtil et délicat.
Dans le duel qui l’oppose à Showtime, HBO remporte haut la main la partie qualité, mais peine à s’imposer que le plan du succès populaire.
Il faut croire que les racoleurs Tudors remportent plus de suffrages que les perles de Deadwood, comme peut en témoigner la décision de Canal+ d’avancer la diffusion de la saison 2 des Tudors, repoussant aux calendes grecques celle des « cocksuckers » du Dakota.
Là où HBO se rend capable de révolutionner un genre (le peplum et le western, en l’espèce), Showtime se contente d’aligner les poncifs autour d’un évènement historique qui semble davantage un prétexte à mettre Jonathan Rhys Meyer tout nu pendant la moitié de la série (oui, il y a carrément pire comme punition. Mais j’ai une étique, moi (dit-elle en se jetant sur la saison 3)), Nathalie Dormer occupant la seconde moitié.
Mais la mort annoncée de Deadwood semble avoir jeté un voile sur cet âge d’or d’HBO, clôturant un cycle d’excellence entamé il y a de nombreuses années par Oz.
Reste à espérer que l’on ait froidement assassiné les Bullock et autres Swearengen pour laisser la place au serpent de mer, celui que j’attends comme le messie, et que j’espère fabuleux : Le Trône de Fer.
PS : aller, c’est gratuit !
Oui, j’ai hâte de voir ça, pour le Trône de Fer ! Encore faut-il qu’ils ne laissent pas l’adaptation à Sam Raimi comme comme pour l’Epée de Vérité (Legend of the Seeker), pour en faire un énième Hercule ou Xena…
Sinon, très intéressante comparaison ! J’ai actuellement les deux premières saisons en stock, je suis pressé de voir ça ! Et les Tudors, j’éviterai…
En même temps, Sam Raimi ou pas, difficile de faire une adaptation valable de l’Epée de Vérité, étant donné la piètre qualité du matériau de base. J’avais rarement lu aussi mauvais…
Ah, bon ? Mince, alors, moi qui pensais m’y mettre un de ces jours !
Non sérieux, faut pas. C’est mal écrit et l’histoire est pourrave.
Je pense que çà peut plaire à une personne n’ayant jamais lu de fantasy de sa vie, mais honnêtement, si je devais conseiller un livre d’initiation, se ne serait pas celui là.
Plus mauvais, tu meurs. Ou tu t’appelles Christopher Paolini…