Il y a deux nouveaux shérifs en ville.

C’est une vraie magie que celle possédée par Lee et Harvey Weinstein, qui cette année encore nous ont rejoué le coup des Oscars 1999. Souvenez-vous de cette édition rocambolesque qui a vu sacrée Gwyneth Paltrow meilleure actrice, et « Shakespeare in Love  » meilleur film, l’année où se trouvaient en compétition des œuvres mineures telles que « Il faut Sauver le Soldat Ryan » et surtout cette purge qu’est « La Ligne Rouge » de Terrence Malick.
De l’argent, du pouvoir et un talent inégalé pour caresser l’Académie dans le sens du poil suffisent aux Weinstein, un vrai lobby à eux tous seuls, pour faire apparaitre des palmarès complètement délirants, à l’image de ce qui s’est à nouveau produit cette année.
Non pas que je trouve anormal de récompenser « Le Discours d’un Roi », ce très bon film agréable et rudement bien ficelé, de cinq statuettes. Déjà, il est un candidat autrement plus sérieux au panthéon des œuvres qui comptent que ne le fut le déjà oublié « Shakespeare in Love ».
Simplement, permettez-moi de m’interroger sur la pertinence d’en récompenser le réalisateur quand il se trouve en compétition avec des mecs comme David Fincher pour « The Social Network » et sa mise en image parfaite, ou les frères Coen l’année où ils pondent un chef d’œuvre définitif comme « True Grit ».

Et je pèse mes mots. Chef. D’œuvre.
Il semblerait que je commence à apprécier les westerns, mieux vaut tard que jamais.

Quel film, rohlala…

Et comme c’est presque toujours le cas, tout part d’un postulat simple et se déroule sur une histoire limpide : une fille cherche à faire payer le meurtre de son père. Y arrivera ? Y arrivera pas ?

Au gré de ce récit aussi drôle qu’émouvant, les Coen peignent des portraits de héros, ceux de l’Ouest sauvage tel qu’on se le représente et telle que légende les a fait. Ces figures archétypales apparaissent pourtant presque désacralisées par une matérialité que l’on ressent d’un bout à l’autre du métrage. Un exercice d’équilibriste parfaitement maîtrisé qui consiste à faire apparaitre Cogburn (Jeff Bridges, parfait) pour la première fois par truchement d’une porte de toilettes où il n’est que la voix d’un type que l’on devine rustre, pour le montrer ensuite, en chair et en os, dans un tribunal où la lumière se pose sur lui comme pour lui dessiner une aura quasi mythologique.
Cogburn apparait ainsi tour à tour sous les traits d’un marshall pochard sur le retour, vulgaire et brute, puis sous ceux plus mystiques d’une ombre, une présence aussi rassurante que mortelle, qui portera Mattie (Hailey Steinfeld, épatante de justesse) dans une chevauchée nocturne d’une poésie visuelle à vous faire bouffer votre siège.

« True Grit » a aussi des allures de requiem pour le Farwest, opposant ces figures de marshall et ranger (Matt Damon, génial sans ses pantalons à pince ;)) à celle de Mattie Ross, gamine à la supériorité intellectuelle évidente, reflet d’une autre Amérique, qui toise avec un léger mépris celle des aventuriers que sont Cogburn et La Boeuf, pour mieux reviser son jugement à leur contact. C’est par les yeux de la petite qu’on les découvre pour la première fois, son regard (par le truchement d’une réalisation qui s’attache à raconter quelque chose à chaque image) définissant son appréhension de La Boeuf (comme un texan un peu ridicule) puis de Cogburn (à l’imposante aura de justicier). C’est également son regard qui tempère les élans comiques du film, leur évitant par son sérieux, de glisser vers trop de gaudriole (en ne s’attachant par exemple pas aux détails comme Cogburn faisant tomber les deux enfants de leur balustrade. On les verra surtout se faire projeter hors champ, effet comique assuré mais jamais appuyé, parce que Mattie s’en fiche et ne regarde pas).

Sans avoir l’air d’y toucher, les Coen tissent également un discours autour du rapport entre l’homme et le cheval, par quelques touches discrètes telle la négociation de Mattie pour les chevaux de son père, sa relation avec Blackie, la réaction de Cogburn face à ces deux gosses brutalisant un âne, tout cela pour faire exploser cette symbiose dans la bouleversante chevauchée finale, où les gestes successifs de Cogburn contre le cheval de Mattie résonnent avec les mots prononcés au début du film : « Tout à un prix en ce bas monde ».

Cette idée, « True Grit » l’a chevillée au corps. Toute décision, tout action, trouve sa rétribution, d’une façon ou d’une autre. Tirez avec une carabine, et son retour vous projette en arrière. Vengez son père entrainera un sacrifice. Sauvez une enfant et vous serez marqué d’une affliction qui vous emportera.

« Tout se paye, rien n’est gratuit, sauf la Grâce de Dieu ». Dieu, personnage omniprésent de « True Grit », dans la raideur et le sens moral de Mattie, dans son doigt de lumière posé sur Cogburn dans la scène du procès, semblant le désigner comme son élu, celui qui fera traverser la Vallée de la Mort. Dans la bande originale, composée de réorchestrations de chants religieux.
« True Grit » rapelle ainsi sur quoi furent en partie fondés les Etats Unis, sur l’élan de croyants en quête d’une Terre Promise sur laquelle il leur faudra rejouer les grands mythes, à fin de s’inventer les leurs.

Une nouvelle fois, les Coen débarquent donc avec une pure merveille, cette fois en forme de sommet de filmographie. Rien d’inabouti ou maladroit dans cet hommage à l’Ouest et ses héros, du scénario fluide à la réalisation léchée, en passant par une photographie somptueuse (et, incroyable, le chef opérateur des Coen n’a même pas eu droit à un Oscar pour çà… Vraiment, on croit rêver…) et un casting idéal (j’en profite pour dire que çà faisait longtemps que l’on avait pas vu Barry Pepper, et c’est bien dommage, il roxx toujours autant, même avec sous son maquillage de bandit dégueu).
L’épilogue, suivant de près la superbe séquence où se fondent Cogburn et le cheval dans leurs destins parallèles (tous deux trébuchent, tout deux achèvent leurs courses lorsqu’une balle est tirée…), achève avec une grande élégance cette épitaphe aux mythes, concluant sur le passage inexorable du temps, qui relègue les héros de jadis au rang de légendes, puis d’attractions, de cirque ou de cinéma, au final, peu importe vraiment.
Si vous allez voir « True Grit », je vous conseille vivement d’enchainer avec « Des Hommes et des Dieux ». Histoire de comprendre ce que c’est, le Cinéma.

Note : ****

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