Le secret de la vallée de l’étrange.

Mes deux fans et demi me réclamant avec des gémissements à fendre le cœur (si seulement j’en avais un !) ma critique de « Tintin », il est grand temps pour moi de me lancer dans cette tâche si longtemps repoussée à coup de « trop de travail ! » ou d’un manque d’inspiration évident.

En plus, j’avais prévu de vous écrire des tartines de la mort que même Marcel Proust dans ses pires cauchemars n’aurait pu imaginer à base d’explications techniques sur le cinéma virtuel, la performance capture et la nouvelle extension de World of Warcraft (enfin ça, se sera l’objet d’un autre billet), mais las, d’autres on fait ce travail pour moi donc je vais faire ma grosse feignante et vous renvoyer séance tenante à leurs écrits qui sont vachement bien tout de même, et voilà, Marcel vient de se suicider au motif qu’il ne voyait pas venir la fin de cette phrase, et dans un acte de désespoir confinant malgré tout au sublime, s’est auto-lapidé avec des madeleines. Quel poète, ce Marcel Proust…

Donc avant de vous lancer dans la lecture au combien fascinante de trouzmille lignes consacrées au dernier Spielberg, je vous conseille vivement de faire un tour sur le lien suivant.

Avec « Tintin », Spielberg vient de repousser, l’air de rien, les limites du cinéma. Jamais je n’avais vu une action menée avec une telle densité, un tel rythme qui jamais ne faiblit, jamais de s’interrompt pour une respiration.
Je ne devrais d’ailleurs pas oublier Stephen Moffat, Edgar Wirght et Joe Cornish dans cette réussite parce que se sont bien eux qui ont bûché sur un scénario sans aucun temps mort, à la mécanique implacable se déroulant sur 1h47 montre en main, tellement dense que tu as l’impression d’être entrée dans le ciné au moins deux heures avant.

Steven en roue libre.

Cela fait 30 ans et des poussières que Spielberg se traine Tintin en remorque. Pas le temps, pas les capacités techniques, bref, on pourrait presque dire qu’il a repoussé l’échéance jusqu’au jour où le cinéma virtuel lui a enfin donné les moyens de ses ambitions (tout comme un certain James Cameron).

Ce qui ressort tout de suite après la projection c’est l’évident plaisir que Spielberg s’est fait. Un peu comme si on lui avait lâché les chevaux et qu’il s’était égaillé tout seul tel un fifou ayant enfin obtenu son bac après deux infructueuses tentatives. Enfin, vous voyez l’idée…

Le dernier film d’aventure de Spielberg étant une chose de triste mémoire, il est aussi également possible de supposer que la somme des frustrations accumulées a libéré son génie et sa folie furieuse l’un au service de l’autre pour se confondre dans une œuvre allant jusqu’au bout de son propos.

« Tintin » c’est une BD d’aventure ? Ben tu vas en avoir de l’aventure ! Plein ta mouille !
« Tintin » c’est une BD avec de l’action ? Mange ça dans ta face !
« Tintin » c’est une BD alors je dois la reproduire case par case ? TU M’AS PRIS POUR ZACK SNIDER OU BIEN ?

Contrairement à de sombres tâcherons sans inspiration comme Robert Rodriguez (« Sin City ») et l’ami Zack (« 300 », « Watchmen »), Spielberg prend le contrepied de l’adaptation BD traditionnelle.
La ligne claire d’Hergé ? OSEF.
Moi je te crée mon propre style, ma propre ligne, de toute façon singer l’original ne sert à rien, alors je m’inspire de Norman Rockwell si je veux ! Idem avec mon scénario. C’est une adaptation, alors si j’ai envie que mes british pipous me pondent un mélange du « Crabe aux Pinces d’Or » et du « Secret de la Licorne », et ben je le fais !

Bref, Steven fait ce qu’il veut, comme il veut et parce qu’il est Spielberg, il le fait foutrement bien. On a perdu la ligne claire (évoquée dans la première scène au détour d’un Hergé faisant le portrait de Tintin) mais on y a gagné une identité visuelle très forte, directement inspirée de la BD d’origine mais gardant respectueusement et intelligemment ses distances. Spielberg s’inspire d’Hergé, mais ne le copie pas.

A la ligne claire, Spielberg substitue la mobilité de sa caméra, flirtant avec le détail avant d’embrasser le plan large, ignorant les murs, s’autorisant des angles déments et un rythme effréné qui ne sacrifie jamais la lisibilité à l’action (c’est si rare, de nos jours…).

Si le rythme est soutenu, l’inventivité de Spielberg ne l’est pas moins avec douze trouvailles géniales à la minute, toutes dans le film forcément. Bon trouvailles, ou marques de fabrique du réalisateur. Comme ces plans à travers du verre, que l’on a déjà vu dans d’autres de ses films.
Mais utilisés ici jusqu’à plus soif, pour densifier sa narration tout en l’allégeant.

Outre s’avérer être une grosse claque continuelle 100 minutes durant, « Tintin » offre deux séquences hallucinantes à la fois de beauté, de force, de maîtrise.
L’attaque de la Licorne par Rackham le Rouge (avec entrée en scène du dit Rackham plus iconique tu meurs) qui écrase en quelques minutes 4 « Pirates des Caraïbes », et la poursuite en moto/jeep/faucon/chien/sidecar/moto-tyrolienne.
Cette scène est le point d’orgue le plus dingue du film. Un truc qu’avant de le voir tu te dis que ça ne peut pas exister : un plan séquence de 3 mn dans les rues d’une ville où des gens poursuivent des gens qui poursuivent des animaux qui poursuivent des gens poursuivant des animaux le tout dans les rues, dans les canaux, sur les toits, avec des gros plans, des plans larges, des mouvements de caméra de malade. Au sortir de la scène, voilà ce que tu te dis : « Ah bon, c’est possible de faire ça ? Beh voui, avec le cinéma virtuel, tout est possible !« 
On se souviendra presque ému d’une autre scène impliquant plan séquence et véhicule dans « La Guerre des Mondes » et on se dit que finalement, la rencontre de Spielberg avec une forme de cinéma n’offrant plus le moindre frein à sa créativité et à son génie est sans doute une des meilleures choses qui soit.

Parce que j’ai le droit de râler, aussi.

Mis à part l’effet mandales à répétition que « Tintin » propose 1h45 durant, il m’a semblé, a posteriori, que quelque chose m’avait manqué dans cette adaptation.
Je n’avais pas vraiment eu le sentiment de m’attacher vraiment aux personnages, surtout pas au principal. De là à en déduire que le rythme Ussein Bolt du film avait porté préjudice à l’émotion, il n’y avait qu’un pas, qu’après mûre réflexion, je n’ai pas franchi.

En effet, comment m’attacher à nouveau à des personnages qui finalement ne m’ont jamais quittée ? Haddock, Milou, qui sont bien les seuls à créer un semblant d’empathie autant dans le film que dans la BD n’avaient pas besoin de me sembler à nouveau sympathiques ou touchants (en bons Belges qu’ils sont). Je serais d’ailleurs intéressée de récolter l’avis d’un public totalement vierge de « Tintin » pour savoir si justement, entre les scènes hallucinantes et le tempo psychotique du film, la mayonnaise aura malgré tout pris. Le box-office américain nous le dira sûrement, mais je pense que les traitements réservés à ces deux personnages, jamais sacrifiés, et bien caractérisés, devraient leur assurer l’attachement du public.

Quant à Tintin, dire que l’on s’en fout comme de l’an 40 est un jugement un peu raide, mais le petit reporter n’a jamais été là pour être aimé à la folie. Tintin vit des aventures extraordinaires, certes, il est intelligent, rusé, drôle, courageux, mais je serais bien en peine d’en dire davantage.
Personnage sans âge, sans passé, sans avenir, sans passion, sans gimmick, il fait davantage office de prétexte à raconter des aventures, souvent parce qu’il est celui qui les lance. L’arrivée du capitaine a été d’ailleurs un ajout salutaire à la bande dessinée, permettant certes des respirations comiques (comme dans le film d’ailleurs, où l’entrée en scène d’Haddock est en quelque sorte le point de départ d’une mise en scène en mouvement perpétuel), mais aussi l’inclusion dans le récit d’un personnage doté d’une vraie personnalité, d’un passé, de failles, et d’une certaine vulnérabilité qui manque cruellement à Tintin l’invincible.

En l’espèce, dans le film, le personnage colle à son cahier des charges. Et les attaques que l’on lit à droite à gauche contre le jeu de Jamie Bell ne sont à mon avis pas réellement justifiées.
On juge sa composition trop lisse, sans surprise. Mais si l’on se penche sur sa matière de base, on se rend compte que Bell n’a fait que composer avec une matière finalement assez pauvre. Et qu’il compose finalement un rôle très proche de son original. Il ne fallait pas s’attendre à un Indiana Jones en pantalon de golf.

Ce qui en revanche n’a pas encore trouvé grâce à mes yeux, c’est le générique d’ouverture, à la fois beau, long, paresseux et tout à la fois bien pensé.
Paresseux parce qu’il reprend, musique et images comprises, le style et les intentions du générique de « Arrête-moi si tu peux« .
Reste cependant qu’avec ses très beaux à plat en 3D s’il vous plait, il pose visuellement l’esprit et le style du film à venir, prenant ses distances d’avec Hergé, tout en lui rendant hommage.

Ce qui me fait rebondir *hop !* sur la bande originale made in, oh ben ça alors, John Williams qui livre un habillage très propre, très efficace, qui semble à la fois oubliable mais reste indispensable à l’ensemble. A ma grande surprise, « Tintin » ne possède par contre pas de thème. Ce qui évite le débat stérile autour de l’existentielle question : « Est-ce que le thème du film sera aussi bieng que le thème de la série, peuchère ? », mais m’étonne quand même beaucoup.

C’est génial, tout ça pour ne rien dire sur le film…

C’est beau, maintenant que j’ai bien tourné en rond sans décoincer quoi que se soit d’un temps soit peu malin, je vais pouvoir vous jeter pèle mêle à la figure des choses comme : les séquences d’action démesurées m’ont fait penser au « King Kong » de Peter Jackson (en moins chiantes) et me rappellent que ce film a été voulu, pensé, composé à quatre mains.
Ou aussi que mon passage préféré finalement, c’est peut être celui à bord du Karaboudjan à cause de ses éclairages magnifiques, de la superbe exploitation de la 3D (la scène du dortoir), de l’efficacité impitoyable du scénario dans ces quelques minutes, et de cette caméra sans repos qui tangue légèrement avec le bateau (qui sent la peinture et le mazout, si si, je vous jure).
Que les dizaines de références discrètes aux autres albums démontrent toute l’intelligence d’une adaptation qui n’a jamais cédé aux sirènes du fan service de bas étage.
Que le plan où Tintin tombe d’un pont du Karaboudjan est à ce film ce que la micro hésitation de Neytiri lors de sa première discussion avec Jake était à « Avatar » et au cinéma virtuel en général : le cinéma n’a plus de frontière, désormais on peut tout, il suffit de le vouloir.

Note : ****

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