Starfilm Troopers.

Un malheur est si vite arrivé… Ah, songez donc, vous êtes en train de regarder un film, la fin de celui-ci arrive, sans qu’aucune faute de goût ne soit venue troubler la projection et comble du bonheur, il n’y a pas d’enfants dans cette salle remplie de gens venus voir un film en silence et sans pop corn.
Le Nirvana du cinéphile, en somme.
Quand soudain, SOUDAIN (‘tention, majuscules, tension dramatique, tout ça) voilà que commence le générique et que se met à sortir des enceintes, fleurant bon le métro et le Titi parisien de bas étage, tout misérabilisme et sentimentalisme ronflant dehors, l’avatar dégénéré de la chanson de trâdition frânçaise, j’ai nommé l’innommable Zaz.

Non mais Marty, ça te coutait quoi d’en prendre une autre que cette ***** pour terminer ton ****** de film, ****** ? A quoi tu pensais quand tu as laissé je ne sais pas quel crétin, sans doute un bobo qui vit Rive Gauche, porte des polos roses à col relevé sous ses pulls en cachemire Zadig et Voltaire (le livre préféré de Frédéric Lefebvre, remember), lit les Inrock et Télérama, et surkiffe sa race Thomas Dutronc, glisser dans l’oreille de je ne sais qui : « Hmm, Coco, tu devrais prendre Zaz pour faire la chanson de fin de « Hugo Cabret ». Il émane d’elle un délicieux parfum de rue.« 

Martin Scorcese, que vous soyez ou non responsable de pareille infâmie, je vous prie de croire qu’il vous faudra de longues années avant que vous expiez cette agression de mes chastes oreilles, agression qui n’a eu d’autre mérite que de me faire sortir de la salle sur les chapeaux de roue tellement je ne voulais plus supporter la chose, alors que moi, j’aime bien rester jusqu’au bout du générique, surtout s’il est en 3D.

« And now, for something completely different !« 

« Hugo Cabret », c’est donc l’histoire de Jean-Pierre Spontex Hugo Cabret, charmant bambin d’environ l’âge d’Eric Cartman vivant seul dans les toits de la gare d’Orsay, y remontant les horloges chaque jour que Dieu fait. Le soir venu, il rafistole l’unique souvenir qu’il a de son père, un très bel automate pour lequel il vole diverses pièces d’engrenage, principalement dans le magasin d’un vieux croulant, Monsieur Georges, vendeur de jouets de son état.
Dans sa quête insensée (j’utilise cet adjectif uniquement vous réveiller les deux du fond qui se sont endormis après « unique souvenir ») aux accents picaresques (j’utilise ce qualificatif uniquement pour faire genre je suis une intellectuelle qui a des lettres. Et pour rendormir les deux du fond), il croisera la moitié du casting de « Harry Potter », Hit Girl et le mec qui joue Borat. Amazing Hugo Cabret…

Nul besoin de nous voiler la face, ce résumé enthousiaste vous a déjà révélé combien « Hugo Cabret « est un film chiant, du moins dans ses deux premiers tiers et croyez-moi, un film chiant, c’est long, surtout quand le final s’avère vraiment réussi, beau, émouvant et sincère mais que pour y parvenir, il faut se taper une heure trente d’aventures sans lendemain qui n’ont d’autres intérêt que de mener péniblement aux vraies étincelles.

Selon la bande annonce, « Hugo Cabret » serait le récit des aventures d’un orphelin cherchant à capter, par la restauration d’un vieil automate, un message que lui aurait adressé son père avant de mourir.
Cet arc résolu dans la première moitié du film, et de façon fort ennuyeuse, ne reste plus qu’à patienter jusqu’à la fin, en priant pour que Morphée et Nounours ne décident pas de passer par le cinéma pile à ce moment là.

« Hugo Cabret » ne décolle que dans son dernier tiers, lorsque brutalement, Scorcese sort l’artillerie lourde et commence à attraper le spectateur par le col, combinant avec une grâce et une tendresse infinie tout son art au service de celui d’un autre.
Car sous l’histoire chiante d’une enfant chiant (et atrocement doublé en français), se cache celle d’un homme brisé, un créateur un peu fou, un doux dingue, un rêveur inspiré et un visionnaire, celle de Georges Méliès auquel Scorcese érige là le plus beau des mausolées.

Avec son esthétique d’un passé fantasmé, ses évocations poétiques, sa sublime profondeur de champ et son utilisation, sans doute la plus parfaite jamais vue sur vos écrans du relief, « Hugo Cabret » semble réinventer le biopic, plongeant le spectateur dans un rêve éveillé seul apte à laisse transparaitre l’essence des films de Méliès.

Dommage que tout ce qui précède ne soit finalement qu’un prétexte pour en arriver à ce bouleversant hommage, cet instant où là, comme ça, Scorcese t’offre ton plus beau cadeau de Noël, à savoir de généreuses portions de l’oeuvre de Méliès sur grand écran, dans leur version colorisée d’origine et en plus, en plus les gens, en 3D.
Méliès fit des essais infructueux sur le relief stéréoscopique. Il fut un des premiers à proposer des films en couleur. Il fut le premier à produire des films de fiction, utilisant décors somptueux, marionnettes et maquettes et effets spéciaux.
Le visuel même d’ « Hugo Cabret », son atmosphère magique, ce Paris d’opérette, cette magnifique photographie, et ce relief somptueux, tout concourt à faire du film une sorte de témoin du chemin parcouru en même temps qu’un trait d’union évident entre le cinéma d’aujourd’hui dans ce qu’il offre de plus poussé et ce temps des pionniers.

Tout le reste, après une belle ouverture en plan séquence, qui se double d’une évocation du cinéma très élégante (Hugo observe depuis une horloge le film de la vie quotidienne dans la gare) n’est que narration poussive, rythme erratique, absence d’enjeux et festival absolu de la 3D. Une aberration que d’aller voir ce film à plat, tant là, le relief en incroyablement bien intégré dans le récit, les effets de jaillissement servant la narration, décuplant l’impact de certaines scènes, au-delà de la simple mais déjà louable volonté d’immersion.
Scorcese, pour son premier film en 3D vient de repousser l’usage que l’on peut faire de cette technique, se hissant sans aucun problème (il part sur de bonnes bases, tout de même) au niveau de Robert Zemeckis en la matière (dont je n’ai jamais vu un seul film en 3D, mais même à plat, le relief et son intégration au récit sautent au yeux, j’en veux pour preuve les 3/4 des plans de malade mental de « Scrooge »).
Ce qui n’est pas un mince exploit de la part d’un type qui n’a strictement plus rien à prouver à personne. Car ici il ne s’agit pas d’intégrer de nouvelles caméras, mais bien de réinventer sa façon de raconter, de concevoir chaque plan. Une posture volontaire et osée qui force le respect en même temps qu’elle démontre toute l’humilité d’un réalisateur face à son art en perpétuelle évolution, en constant renouvellement, et qui choisit, pour prouver cette déférence en même temps que cet amour, d’emprunter la voix de celui qui ouvrit le chemin des rêves à ce qui n’était qu’une attraction sensationnelle de fête foraine, vouée à la disparition que bout de quelques années par ses créateurs.

Bien qu’il soit férocement déséquilibré, « Hugo Cabret » possède quelques atouts sympathique. Ainsi, s’il se fait célébration du cinéma dans une résurrection du passé tournant résolument son discours vers l’avenir, il décline aussi, plus maladroitement, une histoire de filiation qui aurait pu être touchante, entre Hugo et Georges, le premier clairement identifié comme le successeur du second, appuyant ses propres talents sur les enseignements du mentor, lui offrant une véritable renaissance en même temps qu’une promesse d’avenir. Joli, bien amené en quelques scènes, mais le manque d’attachement ressenti à l’égard d’Hugo m’a un peu laissée indifférente à cet aspect du film, qui ne fait finalement que renvoyer au sentiment de Scorcese face à Méliès.


Quel fanboy ce Marty…

Autre élément particulièrement intéressant du film, encore que mis à mal par la dispersion de l’histoire, l’idée de la technique au service du rêve.
Abandonné par son oncle, Hugo continue à vivre dans la gare et à y remonter les horloges car « tant qu’elles tournent, personne ne s’inquiète« . En quelque sorte, tant que la machine de ces splendides horloges tourne, l’harmonie de façade est préservée et nul ne se soucie de qui œuvre en coulisses.
De la même façon, toute la partie sur Méliès s’ingénie à montrer un homme passionné de technique, du prestidigitateur au mécanicien de génie, capable de concevoir de fins mécanismes comme de reproduire une caméra après en avoir simplement vu une dans une fête foraine.
Entre les souvenirs émus de vieilles projections et la diffusion des films de Méliès, les scènes dans les studios de la Starfilm déclinent cette idée qui révulse tant certains de nos cinéastes, selon laquelle la technique peut être au service du rêve.
Et ici, avec Méliès nous sommes bien en présence de très bon technicien capable de se muer soudain en artiste, tournant son talent tout entier au service de son art, l’art du rêve éveillé.

La récurrence du motif des engrenages, que n’aurait pas renié Del Toro, renvoie subtilement à cette idée, celle d’une mécanique précise et huilée, qu’il faut constamment entretenir, où règne en maître la précision, à l’image d’un film à faire, œuvre en perpétuel mouvement dans un art en mouvement perpétuel.
A considérer ce type de coup de génie, il y a de quoi regretter la froideur du film, son éparpillement, le manque de soin apporté aux seconds rôles et l’évidente focalisation de Scorcese sur la nécessité de réussir au delà du possible sa partie sur Méliès, quitte à sacrifier un peu le reste.

Mais une question demeure.

POURQUOI ZAZ ?!!!!!!?!!!!1!!!!11?!!!!eleven

Note : **

(PS : à voir en diptyque avec « The Artist », bien entendu)

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