C’était un des projets les plus attendus de l’année, pour ne pas dire de l’histoire du cinéma. Car le chemin fut long pour voir enfin le « Cycle de Mars » adapté sur grand écran, quand bien même il y fut bel et bien présent pendant près de 100 ans, d’une façon ou d’une autre.
Œuvre matricielle de la science-fiction, fondatrice du genre planète-opéra (et du space opera dans la foulée, on fait un prix de gros), « Le Cycle de Mars » méritait une adaptation à la hauteur de sa réputation. Soit un spectacle fun, généreux, un divertissement haut de gamme à en prendre plein les mirettes et une plongée en immersion totale dans un monde nouveau.
Est-ce-que Andrew Stanton, réalisateur de « Nemo », « Wall-E » et scénariste de la saga « Toy Story » (excusez du peu) parviendrait à ce résultat pour son premier film live, sous l’égide du studio Disney, avec un matériau d’origine tellement repompé par tous les plus grands auteurs de SF de la planète qu’il n’a même plus le mérite d’avoir l’air original ?
Partiellement…
Le marketing selon Disney : ça ce n’est pas l’affiche officielle. Ben non, c’est bien trop beau…
Premièrement, il est important de revoir les ambitions que l’on pouvait avoir au sujet de « John Carter » à la baisse. Si l’on se penche un peu sur la matière contenu dans le premier roman ici adapté, « A Princess of Mars », il n’y a même pas de quoi fouetter un chat. Et encore heureux, car pour immerger le lecteur ou le spectateur dans un univers nouveau, mieux vaut éviter de le perdre dans une histoire trop complexe, ce dernier étant sous un feu nourri d’informations à assimiler afin de comprendre le fonctionnement de tout ce bazar.
C’est ce qu’avait en tout cas choisi de faire Edgar Rice Burroughs dans son serial en 1912.
Ce n’est pas l’option choisie par Stanton, Mark Andrews et Michael Chabon qui ont préféré irriguer la trame de base d’une sous-intrigue issue d’un autre libre du cycle (« Les Dieux de Mars »).
Et c’est clairement la pire idée qu’ils aient pu avoir, parce qu’elle plombe à elle seule tout le métrage. Le seul fait d’avoir bâti toute une sous intrigue sur les Therns, bien qu’il ouvre sur la complexité de ce monde, rend difficile pour un film durant déjà plus de 2h, de prendre du temps pour l’immersion.
Ce qui est vraiment dommage, compte tenu de la beauté de la reconstitution, sur laquelle on ne s’attarde vraiment jamais. En cela, « John Carter » peut se comparer à « Avatar », proposant un monde nouveau tout aussi beau et riche, tout aussi intéressant, mais qui en ne se laissant jamais aller à la contemplation, produit un sentiment de frustration assez puissant. On pourrait tout aussi bien dire que « Star Wars » en son temps n’avait pas non plus pris cette option. Mais « Star Wars », space opera, s’attachait avant tout à ses personnages, les planètes traversées n’étant que des décors plus ou moins marquants. Mars aurait ici dû être un élément de premier plan qu’elle n’est finalement que rarement. A ce sujet, on peut d’ailleurs ajouter que « Star Wars » avait l’excuse d’une technologie limitée, ce qui n’est plus du tout le cas aujourd’hui, ce qui empêcha Lucas de développer sa vision à l’écran (cf la scène de la cantina, qu’il déteste parce qu’elle n’est qu’un pâle reflet de ce qu’il s’imaginait en l’écrivant), et qui explique en partie sa manie de la retouche maintenant que la technique n’impose plus de limites.
« Allez, vas-y Virginie ! »
Parce qu’il y a trop à dire et à expliquer, on suit John Carter dans une action menée tambour battant (sans aucun doute un des atouts décisifs du film, un excellent rythme et un bon dosage de l’action, interdisant de sentir poindre le moindre ennui en 2h12 de temps) sans jamais avoir le loisir de s’arrêter un peu. Avec un travail aussi poussé et abouti sur la direction artistique, c’est vraiment le sentiment de frustration qui l’emporte en fin de métrage, lorsque ce dernier plan de Barsoom rappelle les merveilles entraperçues mais jamais vraiment montrées.
Là où « Avatar » s’était contenté d’une story line simple, autour de laquelle Cameron avait pu développer son univers sans risque de gaver le spectateur (et paraissant du même coup « simpliste » là où il n’était qu’épuré), « John Carter » a pris une option différente.
Sans doute la faute à « Avatar » d’ailleurs. James Cameron n’a jamais caché avoir été influencé par le Cycle de Mars lors de la création de Pandora. Les hommes-plantes et les Tharks renvoient aux Na’vi, la stase du héros se dédoublant sur Barsoom aux avatars, la crise écologique et la gigantesque cité usine de Zodanga aux dévastations humaines sur Pandora, les créatures hexapodes, le héros ancien soldat, sans parler de certains éléments majeurs de l’histoire…
Narrativement et même parfois visuellement, les deux œuvres se ressemblent à un tel point qu’il était sans doute difficile, à la l’écriture du scénario, de ne pas voir venir, gros comme une maison, le risque de se prendre dans la tronche un « ouais, oh, déjà vu…. »
Reste à savoir si les studios Disney n’ont pas imposé cette complexification inutile du scénario justement pour éviter pareille réaction du public. Se ne serait qu’à moitié étonnant considérant leur évidente difficulté à vendre ce film via un plan marketing suffisamment foireux pour assurer à « John Carter » le mépris dès avant sa sortie.
Un mépris qui ne pourra se trouver qu’accentué devant un résultat final sérieusement plombé par son histoire partant dans tous les sens.
Prenons un exemple éloquent qui souligne la maladresse du scénario : l’ouverture est une visite de Mars, très belle visuellement mais totalement inutile.
Je m’explique.
Alors que la voix off nous expose les enjeux du conflit Helium vs. Zodanga, nous découvrons, lors de la première scène de combat, l’existence du méchant Sab Than, dont la crédibilité est rapidement détruite par l’irruption des Therns et de leur arme über destructive (alors que l’on aurait pu laisser planer le doute tout le film durant sur l’origine de l’arme en question, histoire d’ouvrir des portes pour la suite).
Alors vous allez me dire que cela sert justement à exposer la situation générale. Ce qui en soit n’est pas con. Sauf que tous ces enjeux seront à nouveaux exposés, quelques scènes plus loin, par Dejah Thoris, dans un monologue vaguement nanardisant.
Cela révèle en premier lieu la complexité de l’intrigue, qui semble nécessiter que l’on nous expose les choses une fois par l’image, et une autre par le script. Comme je l’ai déjà dit, je ne pense pas qu’il était utile d’en rajouter autant alors que nous autres pauvres spectateurs avions déjà tout un monde à découvrir.
Autre problème soulevé par cette intro, c’est justement la surprise de la découverte, ici déflorée trop tôt. Ainsi, lorsque John Carter arrive sur Barsoom, nous avons déjà vu ces décors, déjà admiré ces cités (ce qui aurait aussi permis de jouer sur le glissement de la photographie de ses tonalités bleues terriennes, à la lumière crue martienne qui s’esquisse dans la fuite de Carter vers la grotte qui servira de passage vers Barsoom).
Une partie de l’immersion aurait dû passer par une arrivée brutale dans ce monde aride, et une progressive découverte de la planète et de ses particularités. Et le film aurait dû commencer sur le télégramme de Carter à Edgar Rice Burroughs (un très joli clin d’œil du film au créateur du « Cycle de Mars » en même temps qu’une habile préparation à la nature de voyage de John vers Mars, où il sera projeté à l’état de copie, « télégraphié », ainsi qu’il l’explique lui-même).
Au risque de me prendre une volée de bois vert (« Bouhou, c’est nul, c’est idiot, c’est crétin et c’est pas intéressant ! ») « Avatar » gérait incroyablement mieux ce concept de nouveau monde. Souvenez-vous de cette progressive entrée dans l’univers de Pandora, d’une navette à un camp retranché, d’une forêt hostile à une brusque découverte de la bioluminescence en terminant par la rencontre avec le clan Na’vi… Le spectateur suivait le même chemin que Jake Sully, ses yeux devenant les nôtres.
Un procédé identique à celui du premier épisode de « Star Wars » d’ailleurs, avec dans un premier temps le point de vue des droïdes auquel viendra se substituer celui de cette andouille de Luke.
Tout ça donc pour souligner la maladresse du scénario de « John Carter » qui empêche le film de passer du bon travail bien troussé au futur classique de la SF sur grand écran.
Ah si seulement il y avait eu un peu plus de confiance en la capacité d’Andrew Stanton à donner corps à ses personnages et à cet univers…
Car de ce point de vue, c’est une belle réussite. Certes, j’aurai déplorer le sacrifice de la relation entre John et Dejah, qui se développe de façon parfaitement artificielle, faute de temps à leur consacrer. Mais globalement, le personnage principal en sort plutôt convaincant (et ce n’était pas gagné avec Taylor Kitsch, assez acharistmatique, dans le rôle-titre), mais se seront sans doute les side kick Tharks qui marqueront le plus. Là, rien à dire, c’est génial : animation des créatures parfaite, photoréalisme très poussé et accentué par le mélange CGI-prises de vue réelles.
De la même façon, la gestion des éléments humoristiques, potentiellement casse gueule, est ici bien dosée. Là où je craignais que l’on en fasse des tonnes avec Woola, le gros chien moche de Mars reste à sa place de gros chien moche de Mars, bestiole attachante mais pas surexploitée non plus (on imagine tout de suite ce que George Lucas en aurait fait et on tremble….). La scène où John découvre sa capacité à sauter s’avère aussi difficile à mettre en scène sur le papier sans sombrer dans le ridicule que réussie à l’écran.
Andrew Stanton a conservé de son passage par l’animation un sens du rythme et de la narration extrêmement efficace, comme en témoigne l’introduction où John Carter est arrêté par des soldats et tente de s’enfuir par trois fois. La caractérisation du personnage tient dans cette intro, certes longue mais correctement rythmée et particulièrement claire pour comprendre les motivations du héros, de même qu’elle prépare à ses futurs pouvoirs martiens (le Zébulon sudiste devient un Virginien bondissant sur Barsoom, toute la séquence de ses multiples arrestations dépeignant son caractère impulsif et tête brûlée qui lui permettra d’apprivoiser rapidement ses capacités sur sa nouvelle planète).
De la même façon, la scène où John affronte seul une armée entière, bâtie sur un montage justifiant parfaitement les motivations du personnage, s’avère être le sommet d’émotion du film. Héros dont le cheminement est d’ailleurs parfaitement bien exposé, avec une évolution particulièrement intelligente et belle à suivre, héros campbellien dans la grande tradition du monomythe, ce qui fera dire à certains des choses comme « pffff pas original, tout ça » => non et honnêtement, on s’en fout.
Le score de Michael Giacchino se trouve être lui aussi une jolie réussite, une de plus à mettre sur le compte de ce compositeur décidément à suivre de très près. Certes, sa partition n’est pas aussi puissante que celle que John Williams composa pour « Star Wars », mais le thème reste longtemps en tête (un bon thème participe de l’identité d’un film, c’est pas Basil Pouledoris qui me contredira) et comme toujours avec Giacchino, on hésite entre l’épique et le mélancolique, pour un savant mélange doux amer devenu sa marque de fabrique (J.J. Abrams, dont il est le compositeur fétiche, n’est rien sans Giacchino). Bref, un beau travail.
En somme, et comme le dit si bien Michelle Phan : « Less is more » (mon blog vient de franchir un cap qualitatif avec cette citation de blogueuse mode de toute beauté).
« John Carter » n’est certes pas un film raté, loin de là, pêchant de vouloir trop bien faire, et par un évident manque de confiance en la capacité de l’univers à se porter tout seul. Manque de confiance aussi en Andrew Stanton, dont il suffit de regarder « Wall-E » pour comprendre combien il excelle pourtant à faire parler les images et à se laisser aller à la pure contemplation.
En matière de passage de l’animation au live, Brad Bird avec « Mission : Impossible 4 » aura mieux négocié son virage, entre autre chose parce qu’il s’avère bien meilleur pour filmer l’action que son camarade de chez Pixar. Et pour avoir pu voir le film en 3D et en 2D, très clairement, la lisibilité du film sort gagnante de la séance à plat.
La 3D, parlons-en. Stanton a voulu faire un film de SF à l’ancienne, en grande partie tourné en décors réels, enrichi des progrès techniques qui permettent de construire un monde encore plus réaliste et cohérent. En somme, « John Carter » dans sa forme est le fantasme absolu de George Lucas.
Mais Stanton a aussi vu son film, dans la forme, comme similaire à ces space operas des années 70. Donc en 2D et en 35mm, ce qui est selon lui (publié sur son Twitter, serious business) la meilleur façon de voir « John Carter ».
Pas que la 3D soit aussi dégueu que dans « Le Choc des Titans ». Le travail est très propre. Et la conversion apporte même sur certaines scènes un plus vraiment agréable. Enfin ça c’est si vous arrivez à passer outre le fait que tout le film soit plongé dans le noir… Stanton n’ayant pas fait son film pour être en 3D, les couleurs et la luminosité se trouvent considérablement atténuées par les lunettes, ce qui gâche une bonne partie du plaisir. Sans parler des plans que la stéréoscopie rend difficiles à lire parce que cela va trop vite pour ce format qui exige un minimum de lenteur pour que les yeux arrivent à suivre le mouvement (pourquoi croyez-vous que Michael Bay ait réalisé son seul et unique film lisible avec « Transformers 3 » sinon à cause de la 3D qui l’a poussé à prendre pour une fois, le découpage de ses scènes d’action au sérieux ?).
« John Carter » est avant tout de chose un pur plaisir régressif, une grande et belle histoire brassant les éléments constitutifs de toutes les plus grandes et belles histoires du monde, un plaisir visuel peuplé de personnages attachants, dépouillé de tout recul vaguement cynique dont se parent volontiers les productions d’aujourd’hui. Décidément, après « Cheval de Guerre », « John Carter » enfonce le clou du nécessaire retour à l’émerveillement et au lâcher prise général, encourageant par la beauté de Barsoom et l’emballement que l’on ressent rapidement face à l’enchainement de l’action à se laisser happer jusqu’à la toute dernière image (qui s’avère vraiment sublime en plus, avec cet enchainement des visage de John, puis de Dejah prononçant « Barsoom » avant que la planète n’apparaisse… Décidément très fort). Or ce qui apparait pour moi une qualité est d’ors et déjà perçu par beaucoup comme un défaut, lequel, couplé au caractère rebattu du « Cycle de Mars », achèvera de plomber la carrière de ce très bon film en salle.
C’est donc le cœur assez lourd que je clos ce billet, sachant qu’entre le fait d’avoir été très mal vendu, celui d’être imparfait, et largement présenté dans un format qui ne lui convient pas, « John Carter » est en train se planter sévèrement. Ce qui est franchement dommage. Parce que cela nous priverait d’une suite et que, moi, j’ai envie d’y retourner, sur Barsoom.
Allez-y de ma part, en prenant ce film pour ce qu’il est, un divertissement avec tout ce qu’il faut sous le pied pour passer un bon moment en salle, un film d’aventure, hommage aux créateurs de rêve, généreux et attachant.
Mais aussi un fascinant acte manqué de la part d’un studio qui mettra quelques années à se remettre du flop engendré par l’échec commercial de ce qui aurait pu être une future grande et belle franchise.
Note : ***
PS : il y aurait encore des tas de choses à dire sur ce film, mais espérant que tous ceux qui liront ce billet seront assez sympas pour aller le voir en salle et tenter de sauver « John Carter » des limbes, je ne veux pas non plus déflorer plus cette œuvre que je ne l’ai fait pour l’instant.
J’ajoute qui si vous, spectateurs, parvenez à sauver ce film, une princesse martienne vous sera offerte en récompense.
Franchement, vous pourriez faire un effort…
PPS : « Le Cycle de Mars » a été réédité en français, mais il est actuellement épuisé. Retour dans 15 jours en rayons.