En soi, ce n’est pas une mauvaise nouvelle attention. Une période de flottement entre deux ères, toutes les entreprises, de quelque nature qu’elles soient, connaissent cela.
Heureusement, le trailer avait suffit à me rassurer, mis à part les effets comiques lourdaux, mais bon, faut bien attirer le chaland en salle, que voulez-vous…
Au terme d’une projection en 3D totalement dispensable (allez plutôt le voir à plat, je pense que le film s’en portera d’autant mieux), je suis ressortie de la salle avec ce sentiment rageant d’être passée à « ça » d’un grand film.
Par contre, faites très attention, parce que je vais spoiler sauvagement, et à de nombreuses reprises.
Pour ce que j’ai pu en lire, la production de « Rebelle » a été pour le moins chaotique. Ecrit et réalisé par Brenda Chapman, qui rêvait de porter ce projet à l’écran depuis de longues années, le film est brutalement confié un an avant sa sortie à Mark Andrews qui se charge donc d’assumer ce qui ont sans doute été les directives de Disney sur le tour que le métrage se devait de prendre.
Comprendre un brutal changement de ton au terme d’une première demie heure brillante, qui casse la dynamique et l’émotion d’une histoire pourtant très forte.
Au cœur de celle-ci, le motif archi connu de la princesse qui rêve de changer son destin. Rien de bien nouveau sous le soleil, mais une fois encore ON S’EN TAPE DE LA PRÉTENDUE ORIGINALITÉ DE L’HISTOIRE CE QUI COMPTE C’EST LE TRAITEMENT.
Et question traitement, « Rebelle » en impose. L’audace, caractéristique première des studios Pixar, revient ici à composer une relation mère fille aussi intense que cruelle. Un binôme finalement pas très souvent traité (en grande partie parce que le plus souvent, les héros seront des hommes et que les héroïnes sont quasi toutes sans exception des orphelines de mères, du moins dans les Disney, dont d’archétype de la princesse est très clairement ici démoli).
L’affrontement des deux femmes, leur rivalité dépeinte sans artifices, la violence de leurs orgueils affrontés contribue à créer un sacré morceau de bravoure qui une demie heure durant (enfin un truc du genre, j’ai pas regardé ma montre…) tient en haleine, prend aux tripes, jusqu’à l’attaque de Merida contre sa mère et la transformation de celle-ci.
Sans pour autant perdre de vue l’évolution des personnages, qui n’est jamais sacrifiée, « Rebelle » se vautre assez lourdement sur des concessions dramatiques à un humour potache sans aucun intérêt. Les figures grotesques des chefs de clan et de leurs fils, ou les numéros muets des triplés, ou la sorcière/artisan du bois bizarrement obsédée par les ours, auraient pu suffire à assurer le quota lolz nécessaire et si cher à Disney, mais non, non, il aura aussi fallu faire de la reine Elinor un ressors comique aussi inutile que maladroit. Les pitreries de la mère sous sa forme d’ours contaminent alors totalement le fond du scénario, sans pour autant en compromettre l’intégrité, mais suffisamment pour empêcher « Rebelle » d’être un chef d’œuvre.
C’est d’ailleurs dans cette partie que se trouve un gag qui m’a profondément gênée, lorsque Merida active le chaudron de la sorcière pour tomber sur…le répondeur de cette dernière. Un gag décalé, anachronique, bon, parfois ça peut marcher, mais pas ici.
Et alors même que l’on aurait dû souffrir avec Merida et sa mère, on se retrouve pendant 20 bonnes minutes à patienter sagement en attendant la résolution de leur problème. Quand bien même le basculement du personnage principal se joue à ce moment précis, il s’en trouve amoindri par l’erreur que constitue ce traitement humoristique de la seule partie du film qui n’aurait pas dû l’être autant. On peut assez facilement imaginer que dans une production sans concession, Elinor serait devenu dès le départ une bête sauvage plutôt qu’une humaine piégée dans le corps d’une ourse, prétexte ici à un comique lourdingue (la mère perçue en tant que monstre était pourtant un thème présent dès l’introduction). Un parti pris radical, qui aurait non seulement fait péter le high score au symbolic meter, tout en appuyant très très fort sur ce qui aurait dû être la motivation première de Merida dans le dénouement de « Rebelle » : sa culpabilité.
Là, on obtient quelque chose de bancal, des situations prétextes à faire sourire, et une scène jamais satisfaisante où Elinor et Merida pêchent. Scène dont la seule bonne idée est d’enfoncer le clou sur le rôle que tient la nourriture dans ce film, responsable de la transformation de la mère, et de ses pertes de contrôle brutales (sans parler de la façon dont les gâteaux obsèdent des triplés).
J’aurais facilement tendance à rapprocher « Rebelle » de Pixar de « Raiponce » de Disney, au détriment de ce dernier. Visuellement, déjà, y’a pas photo. Pixar gagne, jeu, set, échec et mat. Dans « Raiponce », le schéma classique de la demoiselle en détresse est scrupuleusement respecté (ce n’est pas une tare, d’autant moins qu’il y a tout de même une trame de base à suivre…), le rôle de la mère est en revanche sacrifié à la dynamique du récit qui de façon générale s’amuse à tout saborder au profit d’effets comiques sans grand intérêt. La manipulation mentale que Gothel exerce sur sa fille adoptive est expédiée en deux temps trois mouvements, permettant ainsi que la jeune fille puisse la tuer sans ressentir le moindre déchirement intérieur (oui, c’était une sale égoïste qui l’a recluse toute sa vie dans une tour, mais bon, Gothel aura été sa mère et le seul être humain avec lequel elle a jamais vécu, quand même).
Dans « Rebelle », le binôme mère/fille fonctionne parfaitement parce qu’il existe à tous les niveaux. Et tout d’abord parce que le personnage d’Elinor est remarquablement bien écrit. A chaque seconde on ressent en elle les concessions, les sacrifices et les obligations auxquelles elle consent à se plier pour accomplir une tâche qui la dépasse : être reine et garante de l’union des clans.
Dans un dialogue que la mère et la fille n’auront jamais, se donnant la réplique sans se voir ni s’entendre, toutes deux mettent à nu le nœud du problème, et se présentent comme un miroir que chacune tend à l’autre, idée du reste filée dans la transformation de la mère, qui vit, tout comme Merida, un cheminement héroïque conventionnel, croisant celui de sa fille.
« Rebelle » fonctionne aussi au-delà du schéma princesse rebelle parce que le moteur de tous les climax reste les sentiments des personnages principaux. Là où Disney imposait la figure de la méchante sorcière, Pixar nous propose une simple exécutante un peu à la ramasse qui se plie aux exigences d’une héroïne motivée par son égoïsme et son orgueil. Une héroïne qui devra grandir d’un coup en prenant soin de sa mère, fragilisée par sa condition de bête, à laquelle elle a servi, en toute connaissance de cause, une mixture magique destinée à la changer (comme acte monstrueux d’un enfant envers un parent, ça se pose là, et ça ne se croise pas à tous les coins de rue chez Disney).
Il aura malheureusement fallu que le tour trop sombre de « Rebelle » soit noyé dans ces deux derniers tiers qui s’ils ne sont pas insatisfaisants, atténuent considérablement la charge émotionnelle si puissante du début. Sans pour autant brader de récit, j’insiste là-dessus. Et sans pour autant sombrer dans la gaudriole absolue. Le flash-back de Merida se souvenant de la chanson que lui chantait sa mère est une des plus belles scènes du film, casée entre deux pitreries de maman-ours.
Autre défaut gênant, l’impression persistante que certains éléments du film sont là juste pour le fun. L’obsession du père de Merida pour Mordu est par exemple évoquée de façon trop légère pour que l’apparition de ce dernier dans le climax ne fasse réellement effet. Tour à tour traitée comme le récit héroïque dont les enfants de Fergus se moquent (alors qu’il y a tout de même laissé sa jambe…) puis cantonné à l’obsession un peu ridicule d’un roi qui fait un léger blocage sur un ours géant au point de penser que ce dernier se cache dans son château (une réflexion des chefs de clan affirme de plus que ce n’est pas la première fois), tout concoure à ce que l’irruption de l’ours furieux ne soit finalement qu’un rebondissement de fin de film histoire d’y caser un bon vieux combat des familles. J’attendais sans doute davantage à ce niveau, comme la progression dramatique qu’avait su mettre en place « Dragons », de l’idée de l’existence d’un nid à l’apparition du gigantesque dragon vert dans un final plus épique tu meurs.
Mais là encore faut-il sans doute y voir la volonté de la production de ne pas mettre en image un univers trop cruel en évinçant le monstre Mordu, privant ainsi le film de son légendaire.
En point d’orgue, une scène catastrophique présente également Merida tentant d’infiltrer sa mère-ourse dans le château, sans que le scénario ne le justifie à aucun moment. Il aurait suffi que la jeune fille entre, reprise la tapisserie, et reparte avec celle-ci pour retrouver sa mère et tenter d’inverser le rituel… Au lieu de cela, on se tape une scène totalement WTF d’un point de vue de réalisation (qui peut penser une seconde qu’une ourse colossale va passer ni vue ni connue par un escalier dans une salle blindée de monde ?) et de l’écriture (mais d’où sort donc cette idée farfelue selon laquelle Elinor décide à cet instant précis que, les traditions, fuck it ??). Un ratage assez monumental qui s’explique peut-être par les impasses narratives auxquelles les réécritures du scénario ont pu aboutir.
En louvoyant entre les prises de risque « Rebelle » en ressort sublime, fort, mais insatisfaisant. Là où « Dragons » de Dreamworks avait, sur la même trame d’un conflit puissant entre père et fils, le premier voulant là aussi façonner le second à son image, osé l’épique, osé la noirceur, et osé mutiler son jeune héros, sans hésiter une seconde, parce que cette blessure était en parfaite adéquation avec le récit.
« Rebelle » se contente d’être davantage consuel, mais paradoxalement plus fort dans le traitement de la relation parent/enfant, trouvant malgré l’humour superfétatoire, les images justes, les transcriptions littérales de non-dits et de non-exprimables, produisant un intense portrait de cette indéfinissable relation mère/fille.
Et le film n’en reste pas là, convoquant par quelques scènes habiles l’idée d’un nécessaire changement, lorsque dans le final, les personnages s’affranchissent aussi bien de leurs carcans sociaux, que des enchantements ou des traditions, une révolution qui passe ici par les femmes, les plus marquées par un univers de codes, de superstitions, et seules à même de restaurer l’harmonie (par l’imposition d’une sagesse tranquille, comme le fait Elinor avec des chefs de clan, ou par l’acte sacrilège de faire voler en éclat les conventions sociales et familiales, comme Merida).
Bref, un très bel et très riche ouvrage, certes imparfait, mais qui se hisse sans problème dans le très haut du panier 2012, qui est déjà fort bien garni.
Note : **/*