Ejectée de sa sphère de confort suite à un deuil, l’héroïne du film qui va nous occuper aujourd’hui, se retrouve à errer dans un environnement hostile contre lequel elle va devoir lutter pour retourner sur sa planète.
Et non, ceci n’est pas le pitch de « Gravity », mais bien du dernier Woody Allen, « Blue Jasmine », qui décortique les errances psychologiques d’un personnage principal au bout du rouleau, auquel le réalisateur n’épargne rien.
(juste pour savoir : combien d’entre vous se sont petit-suicidés en lisant mon titre ?)
Comme « Gravity », « Blue Jasmine » est littéralement portée par son actrice principale dont le rôle et la prestation vont jusqu’à dévorer les autres protagonistes.
Ma comparaison avec « Gravity » n’étant qu’une blagounette idiote, je dois rendre à Woody ce qui lui appartient. « Blue Jasmine » est avant tout son « Tramway nommé Désir ». Entre une héroïne aux abois qui se réfugie chez sa sœur, aux antipodes de son milieu, des troubles psychologiques qui l’envahissent peu à peu, cessant de faire sourire ou d’attendrir le spectateur pour mieux l’inquiéter, il ne manque guère qu’une présence masculine aussi puissante et dangereuse qu’un Marlon Brando en son temps, mais bon, mieux vaut ne pas trop en demander.
Définitivement pas Brando…
Car si « Blue Jasmine » s’apparente au film d’Elia Kazan il n’en possède pas la force destructrice ni le climat malsain. Pourtant, difficile de dire de ce dernier Allen qu’il s’agit d’un opus mineur. Le réalisateur s’astreignant à produire un film par an, à chaque sortie on attend fébrilement de savoir dans quelle catégorie son nouveau bébé pourra être rangé.
Si « To Rome with Love » était à classer parmi les petits, pastille récréative et élégante, comme toujours, « Blue Jasmine » tutoie les meilleurs opus, tel l’inattaquable « Match Point » sans pour autant atteindre son niveau.
Très proche de ce dernier, « Blue Jasmine » détaille avec une cruauté qui confine au sadisme les rapports humains et leur conditionnement imposé par les normes sociales. Le talent de dialoguiste de Woody Allen fait régulièrement exploser le potentiel tragi-comique des situations, imposant au spectateur de constantes ruptures de ton.
A l’image, cela se traduit par cette caméra cadrant en plans plus ou moins larges les personnages dès que ceux-ci sont en représentation. Les vêtements deviennent costumes et les postures des jeux de comédiens. Le cadre se trouve élargi pour y faire entrer l’autre, celui dont le regard vous impose de jouer cette comédie. Consciemment ou non, tous les personnages de « Blue Jasmine » sont enfermés dans l’image qu’ils renvoient d’eux-mêmes.
Ces plans contrastent alors violemment avec ceux très serrés sur le visage de Jasmine, pour traduire sa confusion, presque plus éloquents que ces monologues hallucinés. Avec ce visage qui semble en quelques secondes se déformer sous l’effet de la douleur, avant de laisser son regard errer dans le vide, Cate Blanchett livre une prestation d’un très haut niveau (personne n’en attendait moins d’elle, de toute manière).
Woody Allen construit une narration éclatée faite de constants aller retours entre le passé et le présent. Plus qu’une illustration du monde d’où vient Jasmine et de ce qu’elle a perdu, on se retrouve comme pris au piège par le personnage principal, contraints de ressasser inlassablement les mêmes moments clés. Sous l’éclairage de scènes du présent, servant de déclencheurs aux flash backs, c’est toute l’histoire de Jasmine que l’on revit. Sauf que la lecture a posteriori porte en éclairage cruel sur ce passé idéalisé.
Une cruauté qui frise parfois l’insoutenable. D’ailleurs alors qu’il conclue son film en faisant exploser son héroïne en plein vol, Woody Allen fait l’économie de tout retour en arrière. Il ne peut dès lors conclure que sur le visage filmé en gros plan de Jasmine irrémédiablement brisée, ayant basculé dans la folie.
Note : ***