Le bonheur, disait Erwin Rommel, c’est comme un Stug III avec un canon de 7.5.
Citation apocryphe que je lui attribue volontiers depuis que je pilote moi-même un de ces adorables petits chars sur les cartes de bataille de World of Tanks, un super jeu en free to play que je vous recommande si ce que vous aimez dans la vie, c’est écraser vos ennemis, les voir souffrir devant vous et écouter les lamentations de leurs femmes.
Mais je ne suis pas là pour vous parler du plaisir tout simple d’achever un char lourd KV-1 d’un obus dans le flanc, tiré depuis derrière un buisson.
Non, je suis venue vous parler d’un futur lointain de sinistres ténèbres où il n’y a que la guerre, et je vous ai bien eu puisque ce billet n’aura absolument pas pour objet Warhammer 40 000.
Autant vous prévenir tout de suite, ne lisez pas ce qui suit si vous n’avez pas vu le film, ou a minima lu le livre. Si vous n’avez fait ni l’un, ni l’autre, jetez vous sur le roman « La Stratégie Ender », d’Orson Scott Card.
Et revenez ensuite par ici.
Car dans les sinistres ténèbres de ce billet, il n’y a que des spoilers.
Plutôt que « Enfin ! « La Stratégie Ender » est portée sur grand écran », je commence à me demander si la bonne chose à dire n’est pas plutôt « pourquoi ? »
Il y a forcément la volonté d’adapter au cinéma un grand classique de la SF. Sur le papier, on se dit « bienbien ». Et puis on apprend que le film est confié au réalisateur de « X-Men Origins : Wolverine ». Et quand je dis confié, ce n’est pas à moitié puisque Gavin Hood s’est chargé de la mise en scène et du scénario.
Carrément, quoi. Tel un metteur en scène français. Oups, correction, tel un âuteur frânçais.
Bon, c’est méchant de ma part. D’autant que dans le fond, le scénario n’est pas si mal. Forcément, il souffre de faiblesses qui font un peu grincer des dents quand on a lu le livre, mais dans l’ensemble, il passe plutôt très bien.
Reste tout de même que Gavin Hood est un réalisateur ascendant tâcheron, qui s’il n’a pas de gros défauts, n’a pas non plus de grandes qualités. « La Stratégie Ender » comme « X-Men Origins : Wolverine » sont donc des films ultra propres, souvent mous, parfois jolis (je sais, il faut le dire très vite concernant « Wolverine »), mais dénués de toute incarnation, de tout point de vue.
Et là, il faut en vouloir aux studios qui ont délibérément choisi un mec docile comme Gavin Hood pour porter ce qui s’apparente moins à l’adaptation d’un ambitieux cycle de science fiction qu’à un produit concurrent de ces teen movies qui ne cessent de nous tomber sur le coin du museau depuis la sortie de « Twilight ».
Voilà ce qui coince vraiment dans « La Stratégie Ender ». Le film souffre de formatage. On aura retiré tout ce qui est susceptible de choquer, de déstabiliser, de complexifier les enjeux, pour présenter quelque chose d’aussi propre et net que l’image. Certes, l’essentiel est là, sous nos yeux, mais la prise de risque frôle le zéro absolu.
Dans le livre, Ender est une arme. Un alliage parfait trouvé par le colonel Graff, forgé et façonné par lui pour devenir l’instrument le plus mortel qu’il soit.
Ender n’est qu’un outil entre ses mains, une utilité qui découvre avec horreur cette fin dont il est le moyen. Mais à aucun moment Ender n’est dupe du processus de formation dont il fait l’objet. A tel point que c’est la conviction d’être préparé à l’ultime combat qui lui dissimule la vérité sur les simulations.
Dans le film, Ender est un petit génie qui se fait manipuler à la fin par des adultes pour pouillave la face d’extraterrestres super moches.
C’est ça que j’appelle un manque cruel d’enjeux.
Tout comme je trouve un peu fort qu’au moment où Ender et ses lieutenants comprennent qu’ils viennent d’anéantir une espèce entière, lui seul ait une réaction saine face à l’ampleur de son crime.
Les autres semblent plus gênés pour lui, un peu comme s’ils avaient tout compris depuis le début et qu’ils se trouvaient un peu embêtés de réaliser que ce pauvre Ender, il est bien gentil, hein, mais il est un peu con…
Certes le livre, suivant Ender et son traumatisme suite au xénocide, n’abordait jamais la question du ressenti de Petra ou de Bean. C’était précisément une question à laquelle le film aurait pu répondre, faisant ainsi son travail d’adaptation.
Une adaptation qui s’ingénie ici à dissimuler l’extrême cruauté du livre pour ne livrer qu’une œuvre grand public qui fait certes une partie du travail, mais en s’appuyant sur le seul récit d’apprentissage, mollement qui plus est, et en comptant sur son twist final pour emporter le morceau.
Ça et une repompe de « Avatar » aussi. « La Stratégie Ender » s’ouvre sur l’œil de notre héros, exactement comme dans le film de James Cameron. Et de la même manière, les deux films se concluent sur leur héros ouvrant bien grand ses deux yeux. Il se trouve d’ailleurs que la symbolique de ses deux plans d’ouverture et de fermeture est grosso modo la même. Dans « La Stratégie Ender » comme dans « Avatar » il s’agit de présenter un personnage principal incomplet, en devenir, pour clore le récit sur un héros aux deux yeux ouverts, pleinement vivant et conscient de lui-même.
Bon, je ne blâme pas Gavin Hood pour avoir piquer une bonne idée de mise en scène. Simplement le truc est tellement visible que ça donnait presque envie de se lever en plein cinéma pour crier « copier-collage !!!!!!!! »
Et puis autant dans « Avatar » le dernier plan a quelque chose de tétanisant au regard de tout ce qui l’a précédé, autant dans « La Stratégie Ender », le manque d’implication émotionnelle annule d’autant plus volontiers la charge qu’au terme du film, Ender n’est pas encore devenu l’homme qu’il aspire à devenir. En gros, ce n’est pas que le plan ne sert à rien, mais je pourrais presque dire qu’il arrive trop tôt et qu’il est un chouia mal à propos.
C’est bien joli les symboles, mais encore faut-il savoir qu’en faire.
Parce qu’il ne construit pas de rhétorique sur le regard, parce qu’il ne tisse aucun lien entre son premier plan sur l’œil et son plan final, parce que la reine et ces plans sur ses yeux ne fait que passer sans jamais habiter le récit, il déconnecte ces deux bornes l’une de l’autre, les réduisant à un réemploi stérile d’une idée qui fut géniale dans un autre contexte, et se serait révélée habile dans ce film s’il avait contenu un projet de mise en scène.
L’une des forces du roman résidait dans cette peinture de l’univers mental d’Ender, dans ses relations difficiles avec les autres humains, et dans sa quête inachevée d’identité.
En l’espace d’un livre aussi agréable que court à lire, Orson Scott Card développait un récit complexe, doté de niveaux de lecture multiples : militaire, politique, psychologique, métaphysique, théologique. « La Stratégie Ender », comme le cycle dont elle est le premier volet, est une étude complète aussi brillante que juste de l’humanité toute entière.
Alors que l’adaptation aurait pu s’attacher à dépeindre cela, à explorer l’esprit et non la lettre, le film s’avère davantage une présentation factuelle de la trame générale. Ne sont conservées que les grandes étapes de l’histoire d’Ender, au détriment de toute la cruauté inhérente au roman.
La sensation de peur permanente qui habite Ender, le désespoir attaché à son statut de pantin, l’instrumentalisation même du lecteur dont les repères se brouillent à mesure que le récit avance…. Tout ceci est absent d’un film qui se borne à montrer Ender à l’école, Ender en salle de bataille, Eder roxx, Ender est transféré, Ender fait des simulations, Ender se fait mind fuck.
De cette structure sans surprise, traitée sans affect, avec un détachement aussi froid que le vide spatial, ne sort qu’un film mou, qui certes va pouvoir séduire un non lecteur, je l’espère alors tenté de se jeter directement sur cet excellent bouquin, mais agacera le lecteur par son incapacité à être autre chose qu’un produit calibré « jeunesse » avec tout ce que ce terme peut avoir de simpliste et de consensuel dans l’esprit d’un marketeux.
Il y a par exemple l’antagonisme entre Anderson et Graff qui ne semble exister que pour que la première joue les cautions morales, ramenant le spectateur à des valeurs et des vérités qui semblent en constant décalage avec les réalités de l’univers du film.
L’humanité vient de frôler l’extinction dans une guerre contre la seule race extraterrestre qu’elle ait jamais rencontrée. Le choc culturel, métaphysique, a été d’une telle intensité (y’a de quoi…), que cette rencontre avec l’Autre a poussé la planète entière à laisser tomber tout autre conflit pour mutualiser chaque ressource dans l’effort de guerre contre les Doryphores.
La guerre, la défense de l’humanité, la survie de l’espèce, sont les uniques préoccupations de ces humains qui n’hésitent plus à réguler leur nombre, à pratiquer l’eugénisme. N’hésite plus à hyper spécialiser des enfants dès leur plus jeune âge, pour en faire des exterminateurs.
Et là-dessus t’as une psychologue qui vient chouiner parce que « ouinouin vous êtes trop dur mon colonel, ce ne sont que de petits enfants !!!! »
=>go au pays des Bisounours, Anderson.
C’est à ce genre de petits détails dans un scénario que tu comprends vite l’intention qui a présidé lors des brain storming : virer tout ce qui peut gêner, et rajouter une bonne couche de politiquement correct là-dessus, histoire que les parents ne soient pas heurtés dans leur sensiblerie.
Le drame qui se joue autour d’Ender et malgré lui, perd considérablement de sa force car le cheminement implacable menant au xénocide n’apparaît pas à l’écran. Comme si Gavin Hood comptait sur son twist final pour marquer son public.
Or le twist ne fait pas mouche. Précédé d’une bonne scène de combat spatial, il ressemble curieusement à ces instants gênants où l’on voit un film se dégonfler. Parce que l’ascenseur émotionnel n’a jamais commencé à monter, la confrontation entre Graff et Ender semble plate, sans affect, principalement du fait que la relation très complexe entre ces deux personnages n’a jamais été explorée.
Quant à la rencontre avec la reine, elle ne peut posséder la moindre force du fait de l’éviction quasi-totale des Doryphores du le récit.
La fascination d’Ender pour son adversaire n’est jamais évoquée. Là encore, Gavin Hood semble se reposer sur un élément du film, son prologue, citant Ender : « Au moment où je comprends véritablement mon ennemi, où je le comprend assez pour le vaincre, alors, à ce moment même, je l’aime également. Et à ce moment-là, quand je l’aime… Je le détruis.» Non seulement cette phrase est-elle la clé du personnage, mais méritait-elle de se faire rappeler par des éléments qui nous auraient permis de comprendre qu’Ender se laissait peu à peu séduire par son adversaire.
Heureusement, le casting de « La Stratégie Ender » tient toutes ses promesses, une gageure avec des acteurs de cet âge.
Découvert dans la série « Merlin » où il jouait le super weird Mordred, l’enfant qui ne parlait pas, mais qui donnait l’impression d’être un réacteur nucléaire à visage humain, Asa Butterfield continue donc à jouer admirablement bien la fusion atomique intérieure et se montre à la hauteur de son rôle.
Et je n’ai pas pu m’empêcher de trouver amusant qu’il retrouve ici, comme dans « Hugo Cabret », Ben Kingsley dans le rôle du mentor.
De manière générale, même si les personnages de Valentine et de Peter vont manquer aux lecteurs (qui n’auront donc rien sur Locke et Démosthène, bouh), le scénario procède à des ajustements logiques sur les personnages secondaires.
Attention, hein, logique dans l’esprit formaté du film. Ainsi, tous les rapports tendus entre Ender et ses « camarades », l’absence d’affection entre eux, sauf concernant l’apaisant Alaï, les défis permanents de Bean qui se définit toujours contre Ender, les conflits d’intérêt de Petra, hop, tout ceci est gommé pour ne laisse qu’une impression de copinage sympathique entre Ender et son crew.
Le but étant ici de gommer toute cruauté pour produire un genre de « Harry Potter à l’Ecole de Guerre » avec un tout petit Espagnol bien rageux dans le rôle de Dragon Malefoy.
Si cela permet de s’affranchir d’intrigues secondaires, cela contribue également à affadir les side kicks d’Ender, réduits à des utilités n’exprimant jamais leurs avis.
Ainsi, comme je l’évoquai plus haut, dans le final, alors qu’Ender comprend qu’il vient de commettre un xénocide, il est le seul qui semble saisir la portée de son acte. Le seul à réagir sainement face à la situation : d’avoir été manipulé, d’avoir exterminé une espèce entière et d’avoir également condamné à mort les équipages des vaisseaux qu’il a si légèrement sacrifié pour remporter la victoire.
Vaisseaux qui étaient pilotés par, devinez qui, les side kicks, directement responsables de la mort de milliers de soldats, sans jamais l’avoir su.
Face à pareille nouvelle, je sais pas, j’attendais un peu de stupéfaction, un peu d’effondrement aussi, bref, une réaction quelconque de la part de l’équipe qui elle aussi, a été façonnée et trompée par le haut commandement.
Là aussi, on touche aux limites de Gavin Hood, en tant que scénariste cette fois. Car si le roman ne traitait absolument plus des autres enfants après qu’Ender quitte la salle de simulation, le film se devait de pallier à ce manque précisément parce que les enfants sont encore à l’écran. Et parce que Hood a aussi choisit de faire de Petra une Valentine de substitution.
Une idée pas idiote, toujours dans la logique du film, mais qui semble stérile dès lors que Petra semble moins affectée par le xénocide qu’elle vient de commettre (c’est elle qui commande le petit Docteur. Elle pour qui tous les autres sacrifient leurs vaisseaux et leurs équipages) que par l’attitude d’Ender.
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Sa sollicitude correspond certes à ce rôle de sœur bis qu’on lui a créé dans le film, mais elle n’aurait pas dû exclure un certain abattement ou une compréhension de l’acte lui-même dans toute sa démesure et son horreur.
Question mise en scène, j’ai pu le laisser entendre plus haut, ça ne casse pas trois pattes à un canard. Merci donc à la direction artistique et au chef opérateur, ainsi qu’au département CGI, tout ceci est fort joli et bien agréable à l’œil.
J’attendais tout particulièrement les batailles dans la salle d’entraînement, qui m’ont un peu déçues par leur mollesse. Certes, il n’est pas évident de rendre dynamique un combat avec des gosses qui flottent en gravité zéro en se mettant des coups de laser congelant dans le museau, mais le fait que les caméras de Gavin Hood ne s’autorisent que peu de mouvements, et que le montage soit tout ce qu’il y a de plus standard n’aide sûrement pas à faire de ces scènes quelque chose de spectaculaire ou d’enthousiasmant.
Batailles qui sont très peu traitées finalement, là où je m’attendais un peu à voir un montage au moins sur toute la période armée du dragon, lorsque Ender doit subir jusqu’à l’épuisement le rythme intense imposé par Graff.
Là encore, l’aspect torture physique et psychologique a été totalement écarté pour ne montrer qu’une succession de coups d’éclat. Un choix, certes, mais qui ne relève d’aucun parti pris de mise en scène, juste d’une logique de formatage.
Un abandon de toute prétention qui fait d’autant plus grincer des dents que lors de son arrivée au haut commandement, j’ai vraiment eu l’espoir que le film prenne une direction intéressante, lorsque Ender pénètre dans un environnement hybride, à la fois humain et doryphore. C’était là une excellente idée d’adaptation permettant d’introduire dans le film le contact entre l’enfant et la reine, en tissant un lien évident entre l’humanité et son ennemi. Seulement, cet habile parti-pris se révèle avant tout cosmétique, puisqu’il est très peu exploré durant ce passage où comme d’habitude, on préfère se concentrer sur le factuel plutôt que sur les pensées d’Ender.
Parce que le film n’est motivé que par une mise en image consensuelle, il échoue à être autre chose qu’une simple illustration proprette du génial roman d’Orson Scott Card, dont il s’ingénie à contourner toute l’essence.
En espérant que personne n’aura la brillante idée d’adapter un jour son second tome, «La Voix des Morts », sur le même registre.
Note : */*, pour tous les livres qui seront lu grâce à ce film. Rien que pour ça, et malgré tout ce que j’ai dit, merci, Gavin Hood.