La bourse ou la vie

Voilà, cette fois ça y est, nous sommes en février, et toujours pas de top 2013 à l’horizon. Vous allez comprendre pourquoi en cliquant sur « la suite », et en vous souvenant que le poil dans ma main n’a d’égal que ma propension à écrire des billets trop longs pour les publier après la bataille.
Pas de panique, on fera rapidement le bilan de l’année écoulée. D’ici là, profitez bien de ce weekend, car le vent se lève, il faut tenter de ne pas s’envoler en aller acheter son pain.

La voilà, la raison pour laquelle j’ai retardé la finalisation de mon top de l’année : Martin Scorcèse, 71 ans, et une énergie, une force créatrice, une capacité à sans cesse se renouveler qui défient les lois de la logique.

A chaque fois qu’il sort un film, je m’attends à me prendre un gros truc en plein visage. Et systématiquement, Scorcèse met un point d’honneur à ne pas me décevoir.

Oui, même le fade « Hugo Cabret » était traversé de ces fulgurances qui font le grand cinéma, porté par l’envie presque incongrue pour un réalisateur qui n’a plus rien à prouver, de réapprendre l’art de la mise en scène pour son passage à la 3D. Une des plus belles, encore aujourd’hui.


« The Hobbit », Wall Street Edition.

« Le Loup de Wall Street » c’est un peu le grand retour au film de gangsters, genre qu’il connait bien, et qu’il va aborder cette fois encore avec l’envie de ne pas rejouer ses succès passés. Non, « Le Loup de Wall Street » c’est une pure bombe dynamique totalement inscrite dans l’air du temps, et complètement dans la ligne logique de la filmo de Scorcèse.

Malgré quelques longueurs sur des scènes dialoguées qui m’ont semblé un peu trop étirées, le film brille par son rythme fou, s’accélérant sans cesse jusqu’à laisser exangue dans une dernière scène anormalement posée, retour violent et cynique du héros flamboyant à la normalité, confronté avec cruauté aux vrais gens et à leur médiocrité.

Car « Le Loup de Wall Street », adapté des mémoires de Jordan Belfort, est avant tout un film rivé au point de vue de son personnage principal (comme c’était le cas dans « Casino », par exemple). L’ascension et la chute, le quotidien, passent au prisme d’un regard déformé par l’autosatisfaction, les drogues, le délire de grandeur d’un être aussi solaire que pathétique.


Un Oscar pour Jonah Hill, bon sang de bois !!!

Scorcèse fait de son film un maelström drôle, vulgaire, épique, qui finit par devenir un film coup de poing. Tenu sur un rythme effrayant, peuplé de figures bigger than life, « Le Loup de Wall Street » est émaillé de fulgurances tenant des scènes entières, comme cette fête où une employée de Jordan se fait raser la tête, séquence glissant subtilement du joyeux capharnaüm au rite païen, entérinant la chute du héros et de ses associés, ou toute l’irrésistible séquence du trip sous Lemon, sans doute le truc le plus drôle que j’ai vu depuis longtemps au cinéma, un sketch dans le film qui tient sur la durée, et se paye le luxe d’une chute aussi hilarante que tout ce qui a précédé.

De la sidération, on passe bientôt à une forme de complicité envers Jordan Belfort, bien que Scorcèse ne sombre jamais dans l’hagiographie. Si l’on s’attache, comment ne pas voir l’être abject, dangereux et inconscient qu’est ce drogué à l’argent (l’addiction dont découlent toutes les autres) ?

Pour faire dans le rapprochement qui fera grincer des dents, mais je m’en fiche, je suis une déglingo, je mettrais bien dos à dos « Le Loup de Wall Street » et « Pain & Gain », qui érigent tous deux la vulgarité au rang de langage cinématographique pour mieux brosser les portraits égocentrés de leurs héros.

Et plus que ces derniers, c’est le monde de la finance qui est dépeint ici comme un univers barré, un bateau ivre confié à des irresponsables obsédés par l’argent et le pouvoir que cet argent leur confère. Des truands, des gangsters, des arnaqueurs doués mais complètement à côté de leurs pompes brassant des milliards l’air de rien, auquel notre modèle économique est suspendu.

Plus besoin d’aller observer les rebus de l’humanité se livrer aux dernières bassesses dans des rades malfamés d’un quelconque quartier interlope : Wall Street fait parfaitement l’affaire.

Jordan Belfort et ses acolytes sont au-delà des portraits de ces gros connards qu’ils sont. Ils incarnent presque des archétypes, cristallisant tous les excès d’un capitalisme malade (on ne peut pas dire le contraire du moins mauvais des systèmes économiques) et d’une société qui l’est tout autant. Le règne de l’argent, l’obsession pour le bien matériel, pour le statut social, le patriarcat conquérant, tout explose dans ses pires travers, ses plus incroyables excès, pour devenir la peinture acide, aussi juste qu’elle est drôle, aussi pertinente qu’elle est sans concession, pour un modèle de société qui s’il avance toujours, craque par endroit, engendrant à intervalle régulier une crise, suivie d’un rafistolage et enfin d’un retour à l’état antérieur.

Cet acharnement qui se traduit par le refus de Jordan de prendre sa retraite, quand le FBI le tient à la gorge, risquant le tout pour le tout par amour du jeu. S’il arrête, il peut vivre comme un roi jusqu’à la fin de ses jours sur ses acquis. Mais s’il continue, il peut gagner encore plus. Le personnage, surnommé « le loup de Wall Street », entouré par sa meute hurlante et révèrente a aussi quelque chose du requin, prédateur parfaitement adapté à son milieu, tendu vers un objectif unique, celui de tuer, encore et encore.

Très drôle, « Le Loup de Wall Street » fonctionne intelligemment sur les idées préconçues d’un public conditionné pour détester les personnages principaux, voire, pour les mépriser. En faisant exploser notre représentation du trader au travers d’une comédie tellement excessive qu’elle vire à la farce, Scorcèse rend le public complice d’un rire qui naguère n’était que colère.

Rien que sur son statut de comédie, « Le Loup de Wall Street » est un grand film, admirablement écrit, superbement dialogué, où la mise en scène vive et inspirée fait exploser son potentiel comique via un montage d’orfèvre. La comédie est un art délicat que Martin Scorcèse maitrise ici sur le bout des doigts. Et la classe, c’est que c’est la première de sa carrière.

Intelligemment Martin Scorcèse fait aussi fonctionner beaucoup de ses scènes comme des pieds de nez. Celle du faux départ de Jordan où pendant son discours il s’autopersuade de rester aux affaires, est emblématique du genre. On passe en quelques secondes d’une émotion franche et sincère à une pantalonnade totale, d’un cynisme achevé.

De même que la très bonne scène de fin, qui présente un Jordan Belfort calme, sur une mise en scène posée (longue focale alors que bon nombre de scènes sont en courte dans le reste du film, produisant donc ici un écrasement du héros dans le décor au lieu de l’emphase à laquelle on avait été habitués jusque-là), avec un montage « normal » (en contre point à la frénésie qui a précédé) : le héros, comme vaincu, doit désormais vivre en donnant des conférences à des gens tristement banals, médiocres. La scène est le miroir de sa première réunion informelle avec ses acolytes, dominée par une leçon sur l’art de la vente. Si ce final semble cruel, on peut tout de même s’interroger. Après tout, Jordan a fini par payer pour ce qu’il a fait, mais désormais, ce salopard est libre et ces gens normaux, victimes collatérales de son incurie, cette masse informe dont il se fout, vient désormais assister à sa grand messe. Une fois encore, il gagne. Il gagne parce qu’il est Jordan Belfort et qu’il n’est pas devenu le loup de Wall Street par hasard.


Un Oscar pour Di Caprio !!

Alors que quelques scènes plus tôt, l’agent qui l’a fait tomber rentrait chez lui, anonyme parmi les anonymes, dans un métro d’une tristesse à pleurer, comme un écho tragique à la conversation qu’il a plus tôt dans le film avec Belfort, ce dernier cherchant à le corrompre. On sent, le temps de ce plan, une hésitation, l’ombre d’un doute, d’autant plus que le spectateur, pris dans le tourbillon qu’est le film depuis le début, se trouve quelque part conditionné à lui aussi se poser la question.

Cynique cette conclusion, oui. Mais envers qui ? C’est une société entière que Martin Scorcèse interroge et bon sang de bois, qu’est-ce qu’il le fait bien…

Note : ****

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