Honni soit qui mal y pense

« She’s tolerable I suppose. But not handsome enough to tempt me ».
C’est sur cette phrase, balancée avec un incroyable mépris et la morgue d’une reine Lannister que j’acquis l’intime conviction que Jane Austen avait écrit le personnage de Mr. Darcy dans « Orgueil et Préjugés » pour Colin Firth.

Et peu importe si mon intime conviction est montée sur un frakking anachronisme. Peu importe aussi que Colin Firth soit un acteur au charisme fluctuant, où qu’il aille, j’irai ! Sauf dans le deuxième « Bridget Jones ». Faut pas pousser quand même. Même moi, j’ai mes limites.

Sans plus tarder, un film avec de vrais morceaux de Colin Firth dedans, un zeste de « Mark Strong joue un agent secret », Samuel L. Jackson avec un cheveu sur la langue et Luke Skywalker. En personne. Juré. Cette andouille de Luke.


Peut-on être plus Anglais que « Kingsman » ? Très difficile, sauf si tu t’appelles Tolkien ou Winston Churchill. Le dernier né de Matthew Vaughn possède en effet ce mélange de classe, de pompe, de décontraction, de folie et de violence brute qui fait le charme et l’esprit de ce petit pays voleur d’Aquitaine.

Une anglicité définie avec un brio évident dans les premières minutes de métrage, un plan séquence sur l’assaut d’une forteresse remplie raz la perruque de moudjaïdins : classe (Colin « Darcy4ever » Firth, mince quoi), pompe (les noms de code dont l’awesomeness est absolue), décontraction (une grenade explose ? « Damned. I’m going to wash it down with a nice cup of tea »), folie (les débris du fort se mettent à former les crédits en 3D, «Fringe » style), violence brute (à quatre, les Kingsman massacrent l’intégralité de la secte des Assassins. RIP, Altaïr…). Quelques courtes minutes pour définir l’esprit des « Kingsman », et accessoirement, poser aussi les bases de leur principe de recrutement : noms de code inspirés de la geste arthurienne, formation, épreuve du feu.

Bien écrit, « Kingsman » brille par sa capacité à limiter les longues explications dialoguées, privilégiant l’information tout au long de la progression de l’intrigue. Le spectateur ne se voit rien prémâcher, mais évolue dans l’intrigue au même rythme que les personnages.

Dire que je suis enthousiaste sur le cas de « Kingsman » est faible. Je dois tout de même avouer que je suis de façon générale enthousiaste sur le cas Matthew Vaughn, qui s’est construit une très belle filmo en quelques années : « Stardust », « Kickass », « X-Men First Class » et maintenant « Kingsman ».

Ce dernier possède une structure assez similaire à « First Class » : une épique de rookies sélectionnés pour leurs capacités hors du commun, formés par des gens pontifiants dans un château et sauvant le monde d’un grand méchant mégalo (funfact, ça ressemble aussi vachement à « Harry Potter »). Des similitudes qui ne doivent rien au hasard, Vaughn ayant réalisé « First Class » dans l’esprit des films d’espionnage des ‘60s ‘70s, un esprit largement réinjecté ici.

Côté mise en scène, « Kingsman » se rapproche davantage de « Kickass » dont il possède le même rythme parfaitement géré entre plages de lenteur, souvent destinées à la sidération ou à générer de l’inquiétude, et les séquences plus dynamiques, véritables shots d’adrénaline, à la musicalité évidente. La maîtrise dont Vaughn fait preuve dans l’exécution d’un film d’action/espionnage est digne de l’attribution d’un point « John Mc Tiernan ».

Vous qui venez ici depuis longtemps savez ce que cela signifie : ça tabasse.


Et ça tabasse aussi parce que « Kingsman », bien qu’il s’assume dans la veine des James Bond d’antan, ne ressemble à rien. Mis à part à un film de Matthew Vaughn.

La semaine dernière, je vous parlais du cas « Les Gardiens de la Galaxie », qui pour sympathique qu’il soit est surtout un produit très formaté, et bien « Kingsman » est l’exact opposé de ce type de production. Comme « Kickass », « Kingsman » se démarque par l’excentricité qui l’imprègne servie par une mise en scène qui ose tout le temps, et se paye le luxe de l’irrévérence (la scène où Mark Strong déclenche l’activation des puces et fait exploser le caisson de tous les puissants du monde sur « Pomp and Circonstances » est un moment aussi drôle que culotté).

Dans la veine des films d’espionnage d’obédience britannique, « Kingsman » n’est ni un pastiche à la « OSS 117 », ni une resucée post moderne atteinte de cynisme. Décalé oui, référencé toujours, « Kingsman » est avant tout un film qui existe par lui-même, au-delà de l’hommage amoureux. Cela passe entre autre par le choix d’ancrer ce récit aux codes et aux mécaniques héritées des ‘60s dans notre monde contemporain, mais aussi par le style affirmé du réalisateur.

Exemple déjà cité plus haut, l’utilisation que fait Vaughn de l’alternance des rythmes dans son film. Un procédé déjà employé dans « First Class » (peut-être aussi dans « Kickass » mais honnêtement, le visionnage remonte un peu) consistant à laisser s’installer de longs plans fixes ou à privilégier les scènes classiques en champ contre champ pour laisser s’installer le malaise. Le repos dans « Kingsman », du cadre comme du montage, ne définit pas les instants de paix, de calme ou de relaxation pour ses personnages. Surtout pas ici où les Kingsman sont définis par l’action, le combat, la traque, bref, le terrain. Dès lors où Vaughn utilise des plages lentes, il le fait pour placer des éléments de tension, ou des jalons dramatiques : les scènes dans l’appartement d’Eggsie avec son beau père, celles au pub avec ses amis, le long plan fixe sur lui et Colin Firth descendant sa pinte cul sec après avoir génocidé la moitié de Coronation Street, le repas entre Valentine et les Suédois, le plan sur le dortoir avant la première épreuve, la discussion entre Eggsy et Arthur…

C’est donc au contraire, dans les cadrages dynamiques, un montage plus rapide, et les scènes d’action que le spectateur et les personnages se sentiront les mieux, portés par cette fameuse adrénaline qui bouillonne sous les impeccables costards des agents secrets.

Cette entorse à la convention, si Vaughn ne l’a pas non plus inventée, est ce qui donne en partie son côté jouissif au film, puisque le spectateur va trouver une zone de confort dans le déchaînement de l’image. Jusqu’à la scène de l’église qui fait se rejoindre les deux sphères. Scène d’action pure, elle est filmée en quelques plans séquence (très peu découpée donc) sur un mode « réaliste », Vaughn cherchant à pervertir son propre code, pour démontrer au spectateur par l’image plus que par le dialogue explicatif qui s’y superpose, la contamination des machinations de Valentine dans l’univers des Kingsman. Une perversion de l’ivresse de l’action, où les agents excellent, qui ne peut que se sanctionner de manière tragique.


C’est à ce genre de petit détail, qu’on appelle une mise en scène foutrement bien pensée, que l’on sait avoir affaire à un bon réalisateur.

Un bon réalisateur qui pense l’architecture de son film pour créer une véritable narration par l’image avant de faire progresser son intrigue par les dialogues.

Et qui comme je l’évoquais plus haut, se paye le luxe d’un vrai discours, peut-être facile me diront les esprits chafouins, sur la société de consommation, les inégalités sociales… Alors oui, il n’est pas forcément si frondeur que cela de parler des méchants millionnaires qui tondent la laine sur le dos des pauvres, les instrumentalisent pour se payer une vie de rêve. Sauf qu’on voit davantage ce genre de discours dans les films des frères Dardennes (point « c’était gratuit ») que dans les blockbusters.

Bien amenée, sans prétention et avec flegme, cette thématique nourrit à la fois le côté James Bond en permettant de créer un méchant crédible à notre époque (multimilliardaire, empereur de l’informatique et des télécommunications, les puissants lui mangent littéralement dans la main et ses ressources sont aussi illimitées que son pouvoir), mais aussi d’augmenter le capital sympathie que l’on peut éprouver pour les personnages, Eggsy en tête, issue de cette masse menacée par l’élite et qui va, en adoptant l’uniforme des Kingsman, sauver le monde.

L’absence de cynisme reste bien la force première de ce film qui s’impose donc par lui-même et non par sa charge caustique, un rien complaisante. La preuve la plus éclatante réside dans le glissement progressif de l’univers tout entier d’une posture fun et décalée vers de réels enjeux et un discours plus sérieux qu’il n’en a l’air (mais qui ne se départi jamais de sa décontraction). Samuel L. Jackson est par exemple un méchant presque risible au départ, entre son zézaiement et sa phobie du sang, sans parler de son assistance Blade Runner. Peu à peu, le film illustre l’étendue de son pouvoir aussi bien sur les masses (via les puces) que sur les puissants (via la promesse d’une vie privilégiée dans son Eden post apo), jusqu’à l’apothéose dans l’église, illustration radicale de la menace que Valentine représente (sans parler de conclusion abrupte de cette séquence).

Dans le même ordre d’idée, le concept même de la cellule Kingsman, cachée dans la boutique d’un tailleur, combattant avec des accessoires de gentlemen (parapluies, briquets, stylos), dont les membres sont affublés de pseudo issus de la légende arthurienne, sent au départ le pastiche à plein nez. Mais à mesure que le film avance, on réalise que le mode de vie, l’uniforme, les manières et les alias participent du code qui fonde l’idéal Kingsman. Celui d’être bel et bien un ordre de chevalerie moderne, voué à défendre les faibles contre les exactions des puissants. Rien n’est donc gratuit, ou placé là pour la blague. Tout participe à l’identité du film, tant dans le fond que dans la forme.

« Kingsman » possède un scénario efficace, bien écrit, développe ses antagonismes sur des thématiques de fond qui sont au cœur du projet narratif, bref, Vaughn fait du divertissement intelligent, novateur, profondément jouissif et surtout, SURTOUT garanti 100% sans cynisme aucun. Gloire au premier degré ! Des qualificatifs que l’on peut apposer à n’importe lequel des trois « Indiana Jones », pour citer un exemple éloquent. Ou à « Last Action Hero », et au hasard « Die Hard » 1 et 3 (et un deuxième point « John Mc Tiernan » !).

Déjà qu’après « First Class » j’attendais le prochain Matthew Vaughn en frétillant comme une petite truite, je sens que l’attente du prochain va être carrément insupportable. Et c’est tant mieux.

Note : ***

Un commentaire Ajoutez les votres
  1. Bon pour Colin et pour lui seul j’irai visionner cet opus, ensuite je compte me faire « Chapi Chapo » je ne résiste pas à ce mauvais jeu de mots.

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