Fuyez, pauvres fous !

Woooookaaaaay… Décor planté. Un dimanche de juin, après-midi, une salle pas franchement pleine mais où deux groupes d’âge ont pris place. First, des gens au-dessus de 60 ans. Second, une bande de trentenaires aux looks, comment dire…

Comment le dire, on se sent un peu, les uns les autres. Je ne sais pas à quoi ça tient réellement, mais quand tu as monogrammé sur le cœur JRRT, quelque part, tu sais reconnaitre ceux qui portent eux aussi cette marque. Et donc, nous étions tous là précisément pour JRR Tolkien, dans sa version pimpée BG bichon façon Nicholas Hoult. Contre lequel je n’ai absolument rien, alors laissons cet enfant tranquille si vous le voulez bien.

Dire que le film m’a fait l’effet d’un grand « bleeeeeehhhhhhhhh » serait encore en dessous de la réalité tant il m’a semblé passer sans cesse à côté de tout. Mais vraiment de tout. « Tolkien » semble se concevoir comme un exercice subtil entre une origin story classique et une version fantasy de « Lucas in Love » qui ne trouverait jamais vraiment ses marques.

La vie de Tolkien apparait au travers du prisme de ses œuvres, comme une somme d’expériences que l’auteur va tenter de recréer dans ses écrits. C’est l’histoire de cet homme, arraché de la Comté, se battant pour y revenir sans jamais y parvenir tout à fait autrement qu’en la réinventant. Son épreuve, sa traversée de la caverne, se fait sous le ciel dément de la Bataille de la Somme qu’il traverse, fiévreux, hallucinant les créatures peuplant son imaginaire dans ce décor de mort et de destruction.

Le récit de la vie de Tolkien s’ouvre et se conclut de la même manière, dans une forêt, où, dans la première scène, jouent des enfants à se mettre dessus à coup d’épée, recréant des récits légendaires. La dernière nous amène dans un décor similaire avec un Tolkien adulte, emmenant ses propres enfants se balader dans les bois et en profitant pour annoncer à sa famille être en train de commencer à écrire quelque chose. Le film se construit ainsi sur une boucle, d’une forêt à une autre, d’un acte créateur à un autre, de l’imaginaire facile et décomplexé de l’enfance à celui, torturé par la vie et les épreuves d’un adulte qui perçoit désormais sa création comme l’unique moyen de retrouver le paradis perdu de son enfance, et surtout, de le sauver.

Car la campagne anglaise idéalisée des débuts du film est un décor quand lequel notre héros ne reviendra jamais, passant de l’industrielle Birmingham dont les rues forment l’essentiel de son décor d’enfant et d’adolescent, aux tranchées de la bataille de la Somme. L’environnement du jeune Tolkien est à mesure que progresse le film, de plus en plus saturé, fermé, oppressant, sauf à l’occasion de quelques scène sous les arbres, avec Edith. Edith dont les scène apportent toujours une forme de respiration visuellement parlant. On opposera ainsi le décor du salon de thé où les deux jeunes gens se rendent, clair, ouvert, lumineux et haut de plafond, à latmosphère plus cosy, confinée, presque chtonienne du salon de thé fréquenté par le TCBS (Tea Club Barrovian Society).

L’univers de Tolkien oscille entre ces deux pôles, qui peinent à se mêler sans être incompatibles, lui leur servant de trait d’union.

Plus que les inspirations et les sujets d’étude de Tolkien, se sont ses relations humaines qui sont au cœur du récit, s’imposant comme le centre névralgique de sa vie et de son œuvre. C’est la destruction et la perte des liens humains qui fondent le drame véritable du film, entre la mort programmée de Goeffrey, la fin de sa bande d’amis brisée par le départ à la guerre, ou la rupture avec Edith, sacrifiée sur l’autel de la carrière. « Tolkien » résume à sa manière la vie de son personnage principal à ses interactions, ses relations. Les prémices de ses langages sont ainsi liés à Edith et à leur amour naissant, l’influence de la mythologie nordico-germanique à une réinvention de l’Or du Rhin dans le cadre étriqué des coulisses d’un opéra. Ce qui semble avoir pour point de départ une grande fresque historique et épique se résume ainsi finalement à deux êtres dont les personnalités et les actes résument l’essentiel.

Le film s’amuse aussi à faire tracer le chemin de son personnage principal en parallèle de celui des personnages qu’il créera quelques décennies plus tard. Si Frodon et Aragorn se convoquent mutuellement autour du personnage central, Edith agrège ce qui sera plus tard bon nombre de traits des personnages féminins de l’œuvre de Tolkien.

Figure obsédante et omniprésente dans le film, le dragon, sans jamais réellement apparaitre, rôde constamment en périphérie du récit, métaphoriquement ou plus explicitement dans les cauchemars enfiévrés des tranchées.

Et c’est précisément sur ce point que le film se prend les pieds dans le tapi et se vautre tête la première. Dans cette idée que le vécu de l’auteur soit la source d’inspiration première de toute son œuvre. Dans cette croyance que chaque moment de sa vie, chaque tournant, chaque rencontre, puisse être vue comme la matrice d’une de ses créations. S’il est évident que le processus créatif prend sa source dans l’expérience à la fois culturelle, émotionnelle, personnelle et contextuelle de l’auteur, il me semble très risqué de présumer que tous les évènements de la vie de Tolkien puissent avoir été les pierres angulaires de son œuvre à ce point.

Le fait est que concrètement, face à la nécessité d’écrire et de réaliser un biopic sur ce personnage, l’équipe se soit retrouvée dans une impasse certaine, quand il est apparu que la vie de Tolkien n’était peut-être pas si romanesque. Ok, une histoire d’amour contrariée et plutôt touchante assortie d’une expérience dans les tranchées, ça vous pose un personnage, mais sorti de cela, on sent bien que le scénario tire un maximum de ficelles sur sa jeunesse afin d’en faire des nœuds avec les fils sortant de la tapisserie de la Terre du Milieu.

« Tolkien » devient alors un récit très artificiel, qui tente discrètement de faire des rapports à tout bout de champ entre le jeune Ronald et son œuvre en gestation.

C’est peut-être là qu’il faut regretter le parti pris de ne pas avoir traité les thématiques de fond traversant son œuvre au profit d’une version soap de ses jeunes années, tant au final, le film semble dépourvu de substance. En conservant la guerre comme le pivot, l’instant où toutes les obsessions, les thèmes, les visions convergent, faisant des tranchées le creuset horrifique du Silmarillion, une approche moins fan service de JRR Tolkien aurait certainement conduit à un film plus satisfaisant.

D’ailleurs, c’est bien le côté fan service qui pêche ici régulièrement, tant le film s’échine à référencer constamment « Le Seigneur des Anneaux » et «Le Hobbit » sans subtilité mais avec beaucoup d’esthétique, pensant qu’il s’agira du meilleur point de contact avec le public visé par le film, à savoir pas le Tolkiendil qui sait, lui, que ces deux œuvres ne sont que la partie émergée de l’iceberg, et que ce qui est né des Maisons de Guérisons de la Première Guerre Mondiale, c’est ce qui deviendra le Silmarillion.

Cet écartement du Silmarillion est patent dans l’épilogue quand il est forcément fait référence à la mort d’Edith, dont on dit que la pierre tombale porte le nom «d’une princesse elfe »… Sans plus de précision… Gênance…

Le film s’achève étrangement sur l’impression qu’il n’était absolument pas nécessaire. Parce qu’il échoue à investir émotionnellement, d’abord, mais ensuite parce que fondamentalement, la vie de Tolkien est ce qu’elle est, je juge pas, mais ce n’est pas chez lui ce qui est sans doute le plus fondamental. Le film échoue précisément à traduire la gestation, la maturation de ce qui fera de ce professeur en tweed avec renforts de cuir au coude l’un des écrivains les plus marquants du XXe siècle, tant sur le plan des qualités d’écriture que pour son approche radicale de sa création, sans parler de la manière dont cette œuvre a infusé, infuse encore et infusera dans des décennies toujours tout une frange de l’imaginaire mondial. Et ironiquement, cette puissance incroyable se traduit assez mal si on la limite à des scènes où Tolkien joue au Hobbit avec ses potes dans un salon de thé.

Certes, l’expérience humaine compte, mais vouloir la lier à tout prix à l’œuvre tend à affaiblir le récit qui ne devient plus qu’une succession  de « oh, là c’est Eowyn ! », « ici, les Maisons de Guérison », « Samsagace, bien le bonjour chez vous ! », « CRETIN DE TOUQUE !!! ».

C’est précisément là que l’on atteint le « Lucas in Love » effect, là où l’on peine à adhérer au projet quand on réduit à des circonstances de la vie, des rencontre, de manière aussi évidente, aussi littérale, des pans entiers d’une œuvre vaste, complexe, sous multiples influences. Tenter de donner du corps à la vie de Tolkien en la passant sous le prisme grossissant de la Terre du Milieu ne fait que donner à ce biopic qu’une impression d’artificiel, de liens forcés, quand il y avait sans doute d’autres voies à explorer, comme la manière dont Tolkien percevait le monde et les changements massifs l’entourant, l’approche de la guerre, la fascination pour les mythologies nordiques et germaniques, la manière dont elles pouvaient justement éclairer ce monde en mutation rapide, bref…. De multiples possibilités qui ne sont jamais explorées.

Je retiendrai du film essentiellement le cauchemar éveillé de la Bataille de la Somme, peuplé de chevaliers, de dragons, de noirs seigneurs, un marais des morts où déambule un Tolkien hagard, sonné, convertissant l’horreur de la guerre en des visions tout droit sorti de son imaginaire, à la faveur de la fièvre qui le dévore. La poésie macabre de ces scènes parvient à toucher quelque chose de très juste, très profond, presque primordial.

6 commentaires Ajoutez les votres
  1. Quand on sait que la famille de Tolkien a totalement rejeté le biopic, ça donne une idée de la véracité de ce qu’il y a dedans….

    1. D’après ce que j’ai compris, la famille Tolkien et le Tolkien Estate n’ont pas souhaité collaborer du tout au film, dès le début du processus. D’où le communiqué dans lequel ils se distancent du film et de tout ce qu’il contient sorti dernièrement. Ce qui privait scénaristes et réalisateurs d’une source. Le Tolkien Estate est du genre prudent et frileux (à raison).

  2. Ce biopic ne m’inspirait guère, ce billet me convainc de garder les pièces dans mon portefeuille pour d’autres occasions

  3. Pareil, je peux être fan de l oeuvre sans ressentir le besoin impérieux de voir un biopic de l’auteur qui semble être juste un moyen de faire des sous… Pour Lucas in love, de mémoire c est un court métrage à vocation un peu humouristique ?

    Après la famille n a pas forcément de voir un sujet de cinéma dessus vu que Tolkien c était à peine hier et cela aurait pu impliquer des plans sur eux… Tout le monde n’ est pas Kardashian 😉

    Le prisme utilisé paraît logique, car au final l oeuvre est très connue aujourd’hui, l auteur sans doute beaucoup moins. On en revient a ma première phrase…

  4. Je n’étais pas du tout hypée par ce film, et votre billet confirme pourquoi je n’irais pas le voir au cinéma.

    Si on connait de loin Tolkien comme le type qui a écrit les films avec des petits gens aux pieds poilus ou des oreilles pointues et une histoire d’anneaux cheloue, ça peut être un film très sympa et retrouver les différentes allusions aux précédents films très divertissant.

    Si on connait un tant soit peu Tolkien, la progressive maturation de son auteur et que l’on recherche justement de la subtilitay et du soin aux détails , il vaut éventuellement passer son chemin plutôt que d’emprunter le raccourci proposé par ce film (Limiter le biopic a ses jeunes années, c’est tellement restrictif et dommage).

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