« Là où je vais, il n’y a pas besoin de route ! »

Ooooh, oui, je sais. Je sais ce que vous êtes en train de vous dire derrière vos écrans : « Gnagnagni, elle ne chronique que des films que PERSONNE n’a vu, que fait-elle de cet hypothétique billet sur « Mad Max : Fury Road » ? Qu’elle nous rembourse notre… bande passante ? »

Avec joie, les amis !

Non.

En fait, le mieux que je puisse faire présentement est de vous livrer un nouveau billet sur un film que personne n’a été voir, encore moins que le dernier Maïwenn, cette réalisatrice en état de grâce depuis « Polisse », son inaltérable chef d’œuvre tellement « vrai », et « poignant », ah ça, cay du cinéma véritay ou je ne m’y connais pas !

NON.

(que le chevelu à la laryngite persistante me pardonne cet emprunt)

Mais trêve de digressions, j’ai un potimarron à découper qui m’attend sagement dans la cuisine et il me faut avant ce duel au sommet m’acquitter de cette mission sacrée qu’un jour Dieu me confia : répandre de par le web des phrases trop longues dans le but pas toujours atteint de vous parler intelligemment une fois sur dix d’un truc que j’ai vu sur un écran.

En avant pour « The Walk », de sa sainteté Robert Zemeckis.

Si ce bon monsieur Zemeckis vient de recevoir de ma part une auréole, ce n’est pas par hasard mais bien pour souligner combien son travail a pesé lourd et continue de le faire sur le paysage cinématographique.
On pourra jouer les nostalgiques en nous souvenant de la trilogie « Retour vers le Futur », dont l’impact sur la culture populaire ne s’est jamais aussi bien exprimée qu’au mois d’octobre 2015.
Et surtout, on ne tournera pas le dos à ses trois brillants essais de cinéma virtuels, ne serait-ce parce qu’ils représentent une petite révolution à l’échelle du cinéma. Robert Zemeckis n’a en effet pas décidé un beau matin que ça y est, aujourd’hui je le sens bien, je vais faire des films en performance capture, ça va être drôlement fun lol.

Parce qu’il est un artiste qui ne néglige en aucun cas la dimension de divertissement dans ses œuvre, Zemeckis a fait ce choix dans le but évident de s’aventurer dans les pâturages à peine explorés d’une autre manière de faire du cinéma, en s’affranchissant des contraintes physiques d’un plateau, en libérant ses acteurs du joug des multiples prises et en délivrant ses caméras de leurs entraves.

« Pôle Express » sous la forme d’un conte pour enfant lui avait permis de poser un pied dans cet univers qui du point de vue du public ne se prêtait guère à autre chose qu’une production destinée aux enfants. Son deuxième essai, « La Légende de Beowulf » vint alors se déposer sur nos bouches tel un uppercut balancé par Geralt de Riv un jour où vous avez malencontreusement bousculé Ablette, l’unique amour de sa vie. Non seulement il y enchainait les tours de force, poussant le cinéma virtuel dans ses derniers retranchements afin d’en démontrer tout le potentiel, mais il n’y sacrifiait pas non plus son histoire, exploration tortueuse de cette soupe d’où naissent les mythes, entre micro et macrocosme. Un essai plus que transformé pour ce qui reste à mon avis, le sommet de sa carrière.

Comme pour boucler la boucle, son troisième film virtuel, « Le Drôle de Noël de Scrooge » lui était un retour à un genre plus largement « acceptable » pour ce type de production, tout en restant viscéralement une œuvre puissante, avec encore et toujours cette symbiose parfaite du fond et de la forme.

Bizarrement, son premier film live après « Scrooge », « Flight » faisait presque office de retour modeste à des affaires « sérieuses », comme si Zemeckis tentait de se racheter une virginité. Ou comme si, à l’image de son héros, après le vertige exaltant que procure une liberté totale et la maîtrise grisante de son engin, le réalisateur confessait s’être trompé de chemin vers la transcendance.
Bob, continue de t’en mettre plein derrière la cravate si c’est pour nous refaire quelque chose comme « Beowulf »…

Cependant, c’ était mal connaître Zemeckis que de penser qu’il allait sagement se mettre à faire des films sur la repentance en les emballant dans un papier « low key » histoire de s’assurer une respectabilité.

« The Walk » est clairement l’aveu d’un type qui n’a pas raccroché les gants et n’en a clairement pas envie.

D’un bout à l’autre, « The Walk » nous raconte l’histoire d’un homme qui va mettre tout son temps, son énergie, sa personne et son art au service d’un instant de grâce.
En gros, il s’agit d’une mise en abime du travail de Zemeckis en tant que réalisateur. Ou d’une simple empathie, qu’est-ce que j’en sais, mais quoi qu’il en soit, le résultat est à la hauteur du World Trade Center, à l’époque s’entend, hein, pas le 2 septembre 2001 (comment ça « trop tôt » ?).

« The Walk » est construit comme un récit initiatique, dans lequel le héros va passer par la totalité des étapes qui permettant d’accomplir son destin : un pouvoir spécial qui le marginalise (son talent et sa passion pour le funambulisme), l’appel de l’aventure (lorsqu’il découvre les plans du World Trade Center), la rencontre avec une femme, avec ses compagnons, avec son vieux et sage mentor qui va lui transmettre son art, les difficultés, et enfin l’accomplissement, ici une transfiguration.
Rien que par cette manière de structurer le récit, le film tient déjà debout tout seul. Il faut dire aussi que ce n’est pas au papa de « Retour vers le Futur » que l’on va apprendre à mettre en scène un film d’aventures. Genre auquel appartient, discrètement, « The Walk ».

Mais pour que la longue et si intense séquence de la traversée de tours fonctionne sur le public, il faut que Zemeckis fasse plus. Ainsi, il construit son film entier autour de cet exploit. Chaque réflexion, la moindre péripétie n’est là que pour obséder le spectateur lorsque Philippe Petit l’élance enfin sur son fil dans le ciel de Manhattan. L’un des exploits de « The Walk » est de maintenir son spectateur conscient, à tout instant de cette séquence brillante, de tous les paramètres pouvant faire basculer l’instant de grâce dans l’horreur pure.

Une fois de plus, Robert Zemeckis démontre, sans contestation possible, le potentiel incroyable de la 3D et du numérique. Certains ont beau jeu de se pignoler aujourd’hui avec la prétendue originelle pureté d’un cinéma sans numérique, ou qui réduirait au minimum sa part. Déjà le chœur s’élève depuis que sont sorties les premières images de « The Revenant », sur le mode du « cay ça le vrai cinéma !!! Celui sans artifices, celui où tout est vrai !!! ».
« The Walk » explique justement le contraire. Au travers d’un personnage qui décide à coup de malice, de détermination et d’expérimentations techniques, de créer une œuvre d’art dont l’existence est sur le papier impossible. Philippe Petit « tire son fil » pour imaginer sa prochaine traversée. Il rêve de passage en équilibre dans les plus beaux lieux. Puis il rend ses rêves possibles en repoussant les limites techniques et humaines.
Comme Robert Zemeckis repoussait celles du cinéma quand il s’acharne à développer un outil révolutionnaire, cette performance capture qui permet de libérer les acteurs des lourdeurs d’un plateau de tournage, de les mettre dans la peau de personnages que leur physique de leur permettrait pas en temps normal d’interpréter, de libérer totalement la caméra de ses contraintes physiques afin de repousser les frontières de la narration.
Le parallèle, l’empathie sont évidents entre le réalisateur et le funambule, tirant leurs fils dans ces lieux impossibles, repoussant les limites de leurs arts pour créer.

Dans « The Walk », le numérique, la 3D, donnent vie, donnent sensation à cette traversée magique, hors du temps, cet acte fou en apparence, ce défi d’un trompe la mort qui se dit chante la vie, dont on ressent l’exaltation, la sérénité, sans pour autant que la mise en scène ne brade notre propre perception. Le vertige, la tension extrême dans cette scène, ne sont brutalement désamorcés, et là, je dis chapeau l’artiste qu’on moment où Petit fait détendre son fil, alors que sa traversée est déjà finie. Le fil, vecteur du récit, d’un bout à l’autre de ce film. Le fil, le support technique, sur lequel repose la performance scénique. L’œuvre d’art n’existe pas sans lui, l’émotion, la tension, ne peuvent redescendre que lorsqu’il est démonté.
Ressentir cette détente, dans sa chair, à l’instant où elle s’accomplit à l’écran, c’est expérimenter une réussite totale en matière de narration.

Autre perspective de « The Walk », son appréhension du symbole très puissant des tours jumelles, prises ici dans leur enfance (la construction n’est pas achevée lorsque Philippe Petit réalise son exploit), scène de théâtre non plus d’un drame mais d’une œuvre pleine de sentiments contradictoires, entremêlant la peur viscérale de la mort et la sensation grisante d’être vivant, juché sur un fil à des centaines de mètres du sol. Tout d’un coup, Zemeckis fait basculer le World Trade Center et son symbolisme de mort et d’horreur très lourd sur un autre registre, certes teinté d’une légère tristesse, mais présenté ici comme un lieu de joie, d’exaltation, comme un espace hors du temps donnant naissance à une incroyable pulsion de création et de vie. La vie, concept au cœur de la démarche de Philippe Petit, se voit d’ailleurs sanctionné de son inséparable compagne, lorsque ce dernier déclare dans l’épilogue avoir reçu de l’architecte du World Trade Center une carte d’accès au toit valable « à vie ». La version française ne rend pas ici justice au double sens de la version originale, « for life », qui s’entend à la fois comme le droit perpétuel de Petit à se rendre sur ce toit, tout en légitimant la beauté de sa traversée par l’expression simple et pure de son sens profond, « pour la vie ». Sans rien laisser ajouter au héros, la caméra glisse alors sur la silhouette des deux tours, et il n’y a plus rien à ajouter.

« The Walk » en devient alors, hasard du calendrier, un film qui d’une certaine manière, s’avère aujourd’hui un exutoire, une catharsis face aux évènements de ces jours derniers. Il me serait extrêmement difficile de mettre des mots sur le pourquoi ce film peut, aujourd’hui, s’appliquer comme un baume, tant comme souvent chez Zemeckis, cet apaisement se produit à un niveau très primaire, très viscéral, dans ces pulsion primitives qui nous animent tous.

Et indépendamment de celui, « The Walk » est un incroyable tour de force, raison pour laquelle il ma fallait publier ce billet pour vous encourage à aller le voir en 3D alors qu’il a disparu des salles de France.
Faites-moi un procès.

Note : ***/*

Un commentaire Ajoutez les votres
  1. Sachez chère Dame que votre mission est quasi accomplie. Je ne suis pas allé voir The Walk, mais votre billet m’aurait presque incité à le faire…s’il était sorti à temps xD
    Dommage que vous publiez vos billets en décalage avec les sorties car ça empêche de se laisser tenter après lecture.

    Même si je ne partage pas votre admiration pour Zemeckis, on sent toute la passion que vous avez pour lui dans cette critique et, bien que cela porte certainement atteinte à votre objectivité, il est plutôt agréable de suivre un texte rédigé par quelqu’un avec la passion.

  2. @ Ser Capuche : toutes mes confuses pour ce retard. Premièrement, j’ai vu le film très tard, la veille de sa fin de diffusion en 3D dans ma province. Ensuite, je n’ai pas eu le temps de me pencher sur la rédaction de ce billet plus tôt, ce qui explique pourquoi ce dernier arrive après la bataille.
    Je le regrette aussi, mais on ne choisit pas toujours :/

    Quand à mon enthousiasme pour Zemeckis, je plaide coupable 🙂 Concernant l’objectivité, c’est un vrai débat. Très difficile de parler de critères objectifs pour juger une oeuvre d’art parce que ceux-ci sont considérés comme du terrorisme intellectuel (le choix des mots… mais bref) / des critères incompatibles avec un discours sur l’art / des notions que souvent en matière de cinéma, les gens ne prennent même pas la peine de considérer.
    Contrairement à l’adage, les goûts et les couleurs se discutent puisqu’il existe donc des critères objectifs, au-delà des penchants personnels, pour estimer une œuvre. Sa qualité, sa maîtrise, sa technique, sont des notions différentes de l’appréciation subjective que l’on peut en avoir et qui pour le coup dépend de chacun.
    Exemple : le cinéma de Polanski ne m’a jamais touchée, mais il n’en reste pas moins qu’il maîtrise son métier. Grand metteur en scène, auquel je suis émotionnellement hermétique.

    Tout dépend finalement beaucoup du type de cinéma que l’on aime, qui nous parle, en matière d’appréciation subjective.
    Mais cela ne devrait pas masquer certaines réalités quantifiables, exemple : tu adores Maïwenn et tu n’aimes pas du tout ce que fait James Cameron. Cependant, quoi que tu fasses, Cameron restera objectivement un réalisateur de génie alors que Maïwenn sera toujours une cadreuse de kermesse. Ceci indépendamment des industries dans lesquels ces deux artistes œuvrent.
    Finalement, ça revient pour une mère à comparer le plafond de la Chapelle Sixtine au dessin de la maison que Lou-Ann a fait avec sa maîtresse en grande section. Maman sera plus émue et touchée par l’œuvre de Lou-Ann qui trouvera sa place pour quelques années sur le frigo, mais Maman serait bien mal avisée de considérer l’œuvre en question comme objectivement supérieure à celle de Michel Ange.

  3. Beuheuh, je suis passée à côté de la date de sortie, et en lisant votre billet, j’apprends qu’il n’est plus diffusé! (Je vais aller me rouler en boule sous une couette et ne plus jamais en sortir. Monde de merde.)

  4. Je fais le procès.
    j’ai jamais pu blairer ces guiness book exploits, de celui-ci à d’aboville en passant par le record d’ascension des 8000 par un aveugle paralytique. C’est pas pour les voir dans un film.
    Je demande 12 milliards de dommages et intérêts. Payables en ngultrums. (ou en dollars bahaméens)

  5. (par ailleurs, je crois que la citation exacte est « là ou on va y’en a pas besoin, de route » (avec les virgules idoines))

  6. @ Lockeforever : c’était pas fait pour être la citation exacte, en fait. Qui doit être « là où on va, on a pas besoin de route ».

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